Conclusion
Expérimentation, science et action

Une dernière fois, nous voudrions réaffirmer ici qu’une histoire de la sociologie qui se donnerait pour vocation unique la recherche et la détermination des fondateurs de la sociologie, encoure très souvent le risque de n’être qu’une tautologie : les « pères fondateurs » de la sociologie sont ceux qui ont été reconnus et désignés comme tels par les historiens de la sociologie qui s’assignent ce genre de mission performative, du moins par ceux d’entre eux qui, à un moment donné de l’histoire de la discipline, occupent une position intellectuelle et institutionnelle qui leur permet d’imposer leur vision de l’histoire de la sociologie. Par conséquent, le panthéon des « précurseurs » et des « fondateurs » de la sociologie, à un moment donné, n’est en grande partie que l’expression de l’état des rapports de force qui structurent la discipline à ce moment. S’il est nécessaire cependant de faire l’histoire de la sociologie, c’est alors peut-être, d’abord, pour montrer comment on fabrique des pères fondateurs ; c’est surtout, dans la perspective qui nous occupe ici précisément, pour montrer comment la pensée de Fourier, et l’Ecole qui s’est constituée autour d’elle, mettaient en oeuvre des conceptions méthodologiques originales, dont l’examen permet de mieux saisir certains des enjeux fondamentaux de la lutte pour la construction d’une « science sociale » au XIXe siècle. Au moment de clore cette recherche, nous voudrions donc essayer, en remobilisant de façon synthétique quelques uns des arguments qui y ont été déployés, de dessiner rapidement le cadre d’une discussion autour de trois pôles problématiques de la construction de la sociologie au XIXe siècle que cette étude de l’oeuvre de Fourier a pu permettre d’illustrer : la prétention scientifique, l’exigence expérimentale et la volonté de transformation sociale. On a vu que ces trois thèmes étaient présents chez Fourier, et qu’ils nous y ont de plus paru centraux ; nous voudrions donc ici à la fois rappeler rapidement les modalités et les « raisons » de leur mise en relation dans le fouriérisme, et attirer l’attention sur les tensions que ne peut manquer de susciter cette mise en relation, aussi bien cette fois dans l’oeuvre de Fourier qu’en général dans toute entreprise sociologique. Ce faisant, le propos sera évidemment non pas d’apporter des réponses qui permettraient de résoudre de façon satisfaisante ces tensions générales, mais d’essayer au moins de montrer comment l’étude de l’oeuvre de Fourier peut aider à formuler et à illustrer certaines des questions qui se posent à tout programme sociologique.