I N T R O D U C T I O N

I : Mohammed Khaïr-Eddine : la vie à l’oeuvre.

Dans le paysage littéraire, maghrébin de langue française, sa voix résonne, aussi rude et rocailleuse que ces « lieux où la géologie et la métaphysique se mêlent en de multiples images »2 dont elle se fait l’écho, à la fois agressive, généreuse, inquiétante et si humaine. Cette voix singulière et multiple introduit d’emblée la discordance dans le champ littéraire marocain, faisant voler en éclats aussi bien les dogmes littéraires que les valeurs sclérosantes. Enfant terrible de la littérature marocaine de langue française, Khaïr-Eddine y occupe une place marquante, participant à sa vitalité et à son renouvellement. Tôt venu à l’écriture, il est partie prenante de ce grand mouvement régénérateur de la production littéraire, maghrébine qu’est Souffles, en 1966. Khaïr-Eddine est de ces écrivains qui apportent un sang neuf à une littérature jusque-là trop collée à certaines règles et valeurs artistiques et culturelles.

De son vivant, Khaïr-Eddine passait plutôt pour un personnage peu fréquentable qui d’ailleurs ne se laissait pas fréquenter aisément. Il est vrai que l’homme ne s’inscrivait pas dans un quotidien ordinaire et balisé par des repères communs à une humanité attachée aux valeurs traditionnelles de la famille, des responsabilités et du devoir ou encore du travail et de l’argent. Réfractaire à ce balisage, homme d’exil, atteint par ce que Baudelaire nomme « l’horreur du domicile » , Khaïr-Eddine se voulait fondamentalement un homme libre. Or, cette liberté en a effrayé plus d’un.

La mort de Khaïr-Eddine, le 18 novembre 1995, entraînera un phénomène de découverte ou de redécouverte d’un écrivain transmué par les conditions de sa mort3 qui soulève un questionnement objectif quant aux traces laissées par une oeuvre littéraire et son auteur. Si une biographie de Khaïr-Eddine reste un travail à accomplir dans le futur - car tel n’est pas le propos de cette étude - un examen de l’itinéraire de l’écrivain s’impose ici afin d’en dégager les étapes marquantes et sa place dans la littérature.

Notes
2.

Légende et vie d’Agoun’chich . Paris : Seuil, 1984, p. 18.

3.

Rappelons ici que Khaïr-Eddine est mort à la suite d’un long

combat contre un cancer de la mâchoire.