1) : Le projet anthropologique et symbolique.

Leur point de convergence se situe, en premier lieu, à la croisée de ces discours que sont l’une et l’autre, l’anthropologie et la littérature. Discours sur l’homme et connaissance de l’homme, la littérature et l’anthropologie se rencontrent ici, de façon inévitable, dans ce travail sur l’oralité. À la fois restitution de l’expérience humaine, élaboration de l’histoire individuelle, propre à l’écrivain, celle du tissu familial, social, culturel dans lequel il a pris vie et transmission du patrimoine ancestral qu’il porte en lui, l’expérience littéraire est lieu de rencontre de tout ce qui constitue l’homme concevant, imaginant, logicien et rêveur.

Il s’agira alors de mesurer les rapports qu’entretient l’oeuvre de Khaïr-Eddine avec la culture et comment elle réactualise les modèles ancestraux. S’efforçant d’expliquer le monde dans son ensemble, la littérature joue ainsi un rôle d’élucidation subjective. Comment fonctionne-t-elle comme espace d’élaboration d’une image de soi tout en étant lieu d’un enjeu culturel et discours sur cet enjeu ? Si la littérature est production et reproduction sociales, comment se fait-elle lieu d’expression de multiples interrogations et de réactivation des manques ?

Dépôt d’histoire, lieu de mémoire, le texte littéraire est espace d’élaboration symbolique et inconsciente. De ce point de vue, le projet littéraire, perçu en tant que projet anthropologique pose le problème de son ancrage et de son éloignement symboliques. Notons qu’ici, la littérature et l’anthropologie éclairent l’écriture comme émergence symbolique, distanciation, interrogation et stratégie de survie. Comment cela se traduit-il dans l’écriture ? Quel est le trajet qui se dessine entre l’oralité et l’écriture dans la production de Khaïr-Eddine ?

L’ancrage et la distanciation symboliques posent une autre question. Le projet littéraire ne formule-t-il pas cet autre projet d’inscrire l’altérité, non seulement dans la langue et l’écriture de l’Autre - ici le français - mais aussi dans l’espace identitaire maghrébin, de façon générale et marocain, en particulier, linguistiquement et culturellement multiple et éclaté ? Dans ce sens, travailler sur l’oralité, sous l’éclairage de l’anthropologie et de la symbolique, c’est rappeler que le problème de l’écriture est aussi celui de l’identité, que parler d’oralité revient à évoquer le non-dit, une dimension d’absence ; l’oralité étant inévitablement, dans l’écriture du moins, toujours perdue.

L’écriture-distanciation et éloignement est aussi le lieu où se nouent la langue, la culture et la symbolique. En tant que tel, le projet d’écriture s’inscrit comme projet de reconnaissance de ce noeud où se pose pour nous la problématique fondamentale de l’oralité et de l’écriture. C’est ici aussi que s’entrecroisent les dimensions anthropologique, symbolique, esthétique et poïétique du projet scriptural de Khaïr-Eddine.