Deuxième partie : L’oeuvre de l’oralité

Maintes fois signalée dans les propos précédents, la structure complexe de l’oeuvre de Khaïr-Eddine n’en révèle pas moins de fortes relations avec le champ de l’oralité, d’une part, une imprégnation par le discours et les valeurs de ce champ, d’autre part, ainsi que l’orientation de l’écriture sous l’effet de cette attraction vers une esthétique scripturale, particulière.

Celle-ci apparaît profondément marquée par cette effraction de l’oralité dans le champ de l’écriture que constitue dans cette seconde partie de notre investigation l’oeuvre de l’oralité. Celle-ci nous mènera à dégager tout d’abord comment l’oeuvre est fondée sur les valeurs de la parole. S’imposera alors la nécessité de circonscrire la notion diffuse de parole, tout en analysant son fonctionnement. Rappelant quelques éléments théoriques à l’aide desquels il nous sera possible d’interroger ici l’expérience scripturale de Khaïr-Eddine, notre travail tentera de saisir les différents sens que peut revêtir la parole, telle qu’elle s’inscrit dans l’oeuvre, de même que les multiples fonctions que lui assigne l’écriture

Ceci nous conduira à observer les différentes manifestations et les enjeux de la parole en acte. Les divers aspects que peut prendre la parole, ses ramifications, ses extensions et ses multiplications seront à examiner comme autant de modalités. Nous verrons ainsi que de la linguistique à l’anthropologie culturelle en passant par la psychanalyse, les divers sens que recouvre la notion de parole sont tous constitutifs de l’oeuvre de l’oralité chez Khaïr-Eddine.

Nous établirons comment l’écriture s’inscrit de ce fait, dans une pratique, dans un espace-temps que l’on situera entre le Dire et l’Ecrire. S’instaure alors une dialectique scripturale telle que s’impose une force de l’écriture traversée par celle de la parole qui ne manquera pas de retenir notre attention. La force du texte, dégagée dans la première partie de cette analyse, résulterait en somme de cette dialectique scripturale mettant en présence des puissances parfois antagoniques, parfois conjuguées pour donner à l’écriture de Khaïr-Eddine toute son ampleur et sa singularité. Nous nous attacherons à suivre ce nouveau langage qui se construit dans cette dialectique scripturale au coeur de laquelle opère l’oeuvre de l’oralité, donnant ainsi naissance à ce que nous nommerons l’écriture-parole. Celle-ci correspond à la recherche signalée de ce nouveau langage qui spécifie cette expérience.

Dans cette élaboration, le dire urgent et fondateur laisse entendre le discours de l’oralité que nous identifierons au niveau de ses rapports avec le culturel. Nous nous efforcerons de montrer comment s’inspirant de celui-ci, le reproduisant et/ou le réactualisant, le détournant aussi, le discours de l’oralité redynamise la force de la parole au service de « la guérilla linguistique » et de « l’écriture raturée d’avance » . Non pas à l’opposé mais à l’intérieur de la force du texte, travaille, nous semble-t-il, cette force de la parole, dans la réinvention de l’esthétique de l’oralité en renouant avec le champ symbolique de la culture et son corps inaugural.

Comment les stratégies scripturales instaurent-elles cet étrange dialogue avec l’espace de l’oralité ? Disons de prime abord que celui-ci est loin d’être serein. Qu’en est-il véritablement des rapports entretenus avec cet espace ? Voilà qui nous renvoie au contexte de l’intertextualité et du dialogisme. Précisons que la tentative intertextuelle n’est pas envisagée ici par rapport à une intertextualité générale, vis-à-vis de laquelle toute production littéraire nécessite d’être considérée. Notre intérêt se portera sur une pratique intertextuelle, un dialogisme, par lesquels l’oeuvre de Khaïr-Eddine entre en contact avec le champ de l’oralité.

Poser les choses en ces termes, c’est entrevoir l’oeuvre de Khaïr-Eddine, comme lieu d’une tradition, au sens étymologique du terme. Celui-ci insère l’oeuvre dans une chaîne de transmission266 , dans une filiation267 . Tradition, filiation sont des mots qui fondent une continuité. Est-elle revendiquée, assumée par Khaïr-Eddine ? Du point de vue du champ qui nous occupe ici - celui de l’oralité - cette seconde partie aura à coeur de montrer comment l’oeuvre de Khaïr-Eddine se construit paradoxalement à la jonction de la revendication de cette continuité, du désir de la transgresser et de l’acte de sa destruction.

Notes
266.

De ce point de vue, nous sommes bien là dans l’intertextualité.

267.

Celle que nous évoquions déjà aux prémices de cette étude.