Troisième partie : De l’oralité à l’esthétique scripturale

Dans les étapes précédentes de cette recherche, nous avons eu à coeur de montrer que les stratégies scripturales déployées dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine portent l’empreinte de l’oralité dont nous avons essayé de déceler les marques tout au long de notre propos. Nous allons dès lors nous attacher à analyser comment cette inscription de l’oralité dans l’écriture participe d’une esthétique scripturale et d’une vision de la littérature.

Le sens que prennent cette expérience et cette esthétique par rapport à la société et la culture comme espace réel et symbolique nous mènera dans un premier temps vers le corps des mots et les mots du corps . Nous explorerons ainsi l’écriture du corps chez Khaïr-Eddine, à travers une approche qui tend à retrouver les liens établis avec l’oralité culturelle, anthropologique, évoquée notamment dans l’introduction générale de cette recherche. L’attention accordée à cet aspect vise aussi à replacer le corps au centre de toute création, révélant alors une double oralité en une oeuvre scripturale du corps.

Dans un second temps, nous suivrons comment celle-ci impulse une dynamique de la mémoire et en quoi elle contribue à son esthétique scripturale. Nous nous intéresserons au travail qu’effectue la mémoire à la fois collective et individuelle au niveau de l’écriture dans son rapport au temps, à l’espace, à la langue, à la culture, rapport confondu avec l’enfance, l’histoire personnelle et le corps. Notre intention est d’établir que la mémoire qui prévaut ici est d’abord celle des éprouvés corporels par lesquels tentent d’émerger une parole, un chant, un texte ancien, une voix, tous enfouis dans les replis de cette mémoire en action dans les mouvements mêmes de l’écriture, induisant ainsi une esthétique qui nous semble être portée, en dernier lieu par la force de l’imaginaire .

Se nourrissant du travail du corps et de celui de la mémoire, l’imaginaire ainsi approché, ouvre sur une esthétique scripturale dont l’analyse nous permettra d’avoir accès aux points de force de l’écriture de Khaïr-Eddine. En les décryptant à travers les rapports entre le « je» et le texte, l’esthétique de l’inachevé et la parole scripturale et la puissance de l’imaginaire, nous essayerons d’approcher au plus près une expérience littéraire dans ce qu’elle a à la fois de plus singulier mais aussi dans son désir tendu vers l’universalité.