Chapitre I : Le corps des mots et les mots du corps.

Cette partie voudrait développer une meilleure compréhension de l’oeuvre de l’oralité dans l’écriture de Khaïr-Eddine par une traversée de la corporéité qui se veut aussi approche de l’intériorité et de l’intimité de l’expérience scripturale.

Dans la production littéraire qui nous occupe ici, le corps est au centre d’une problématique du Dire, quand il n’est pas lui-même corpus à déchiffrer. Il s’agira pour nous de montrer que ce corps, « ‘d’abord un corps textuel soumis à la suprématie du verbe’ » 466 , socialement et culturellement, est à son tour exalté, malmené mais en tout cas émergent dans et par l’écriture dans laquelle il surgit comme élément de trouble, de désordre, sans doute aussi de transgression.

Notre tentative cherche aussi à mettre en évidence, à partir de l’étude du langage entreprise jusqu’ici et à travers lui, « ‘certaines relations généalogiques entre les mots, le sentir et la chair’ » 467 . L’expérience scripturalen’est-elle pas aussi expérience intime de et dans la chair ?

Écrire le corps ne revient-il pas alors à l’engager totalement dans l’acte scriptural et à le faire participer à la génération du texte ? Mais ceci ne va pas sans contribuer à une construction du corps dans l’écriture ou du moins à une image corporelle singulière et présente dans le champ scriptural. Cet investissement de l’écriture par le corps contraint à s’interroger aussi sur le trajet qu’elle effectue dans son désir tendu vers celui-ci.

Apparaît alors ce jeu entre oralité et scripturalité dans lequel intervient très fortement le corps à travers la vocalité. Le corps à corps avec les mots ne fait-il pas entendre cette « voix » dont l’absence, peut-être même l’impossibilité, donne autant de valeur à la parole telle qu’elle se manifeste dans l’écriture, comme le montrent les propos qui précèdent ?

Ainsi, la parole qui émane du corps et se propage dans l’écriture devient alors fondatrice, l’écriture s’accomplissant en un acte où le cheminement de la création renvoie bien à un enracinement corporel. Interroger ce cheminement, c’est aussi tenter de percevoir le travail de l’écriture comme oeuvre du corps .

Entre le corps et l’écrit, qu’introduit l’oralité par rapport à l’avènement du texte, alors étape ou lieu de fixation et de blocage ? Dans cette circulation enchevêtrée de sons et de sens, dans ces passages incertains du corps à la voix, de la voix au signe, intervient une fois de plus le rapport oralité-écriture. Comment dans cette épreuve hasardeuse qu’est le passage du corps au texte se joue le problème de la mise en forme ? Comment se pose alors la question du corps de l’oeuvre ?

Notes
466.

Malek CHEBEL. Le corps dans la tradition au Maghreb . Paris : P. U. F.

1984, p. 151.

467.

Adolfo FERNANDEZ-ZOILA. op. cit. (p. 9) .