2) : L’enfance des mots.

L’éveil de la mémoire de soi permet de se réapproprier son histoire, comme par effraction, le temps qu’apparaissent quelques scènes focales comme repères identitaires, images de rayonnement et de plénitude : « ‘Et quelle belle danse exécutait sa mère tirant la flotte du puits ! (. . . ) Grand-père était là brandissant une très vieille et très simple histoire (. . . ) Il était donc là, le grand-père. . . Moi aussi, j’étais là. . . Au loin, l’hiver érodait la montagne, la fignolait. . . On buvait du vrai café (. . . ) Un café pur qui sentait les racines de l’oeil où s’amoncellent ces terres fortes qui te portent et qui se désintègrent dans ta cornée, effaçant le temps, amochant la phylogenèse. . . ’» (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants, p. 51-52) .

Cet abandon à soi également relaté dans les premières pages de Légende et vie d’Agoun’chich marque une profonde réconciliation avec son histoire et son passé qui se lit notamment dans la compréhension généreuse et sincère « des proches redevenus familiers » dont le narrateur semble comprendre lucidement l’être profond : « ‘ils balisent de leur fantastique lumière la route obscure et tortueuse qu’emprunte leur progéniture toujours prompte à verser dans les pires vengeances’. » (p. 20) .

Cependant ce cheminement est d’abord obscur et va s’élaborer peu à peu. Dans ce rapport avec la mémoire, le processus scriptural figure une sorte d’urgence à distinguer les choses. Or, chez Khaïr-Eddine, cela paraît inquiétant, douloureux. Le point de départ est senti, éprouvé comme une sorte d’activité magmatique, ça se passe dans le corps. Dans ce mélange, apparaissent rapidement des fragments de mémoire, de sentiments, impliquant la totalité du corps qu’il faut éclaircir, relier dans une mise en ordre et une mise en oeuvre.

Or, l’irruption de la mémoire dans le corps-texte provoque son agitation et porte à son paroxysme la crise identitaire qui se traduit par l’ébranlement de ce corps/texte. C’est souvent d’un chaos textuel que la mémoire accouche, comme dans Agadir où la phrase, perdant progressivement tout signe de ponctuation, et la pensée manquent de construction logique, sont submergées par un trop plein de paroles relatives à la relation parentale, l’histoire familiale et affective : « ‘je ne concevais pas un grand-père sans cruauté maman ne m’aimait pas mais elle ne me battait pas non plus mon grand-père y était pour quelque chose je le savais mais je n’aimais pas beaucoup maman mais je pleurais quand on disait d’elle des obscénités dès que j’étais rentré de la mosquée elle me regardait sévèrement puis me tournait le dos mon père n’était pas là oh je l’aimais comme une légende je me disais C’est lui qui m’apporte des friandises (. . . )’ » (Agadir, p. 88) . Le récit s’enlise ainsi dans les souvenirs et les couches les plus profondes du psychisme, plonge dans le fantasmatique autour de la figure du père (p. 97-100), se constitue à travers un amoncellement de bribes narratives, révélateur de la crise identitaire du narrateur/écrivain : « ‘Je suis un écrivain (. . . ) voici mon passeport (. . . )/ ROYAUME DU MAROC532 (. . . ) Profession: rebelle/ Adresse : Juif errant ’» (Agadir, p. 101) .

En effet, le rapport problématique avec les siens entraîne chez le narrateur un trouble dans sa relation avec sa narration. Celle-ci joue de l’ambiguïté et de la confusion des dires, à l’exemple de l’histoire du grand-père (Agadir, p. 116). L’histoire annoncée laisse place à une séquence (p. 117-120) dont le lien avec la précédente reste obscur : le « je » qui s’exprime dans le « Document » (p. 17-20) est-il celui du grand-père ou celui du narrateur qui annonce dans la séquence précédente : « ‘et je remâche tant bien que mal mon passé, je lui fausse compagnie, (. . . ) c’est pourquoi je préfère la compagnie de mon grand-père, voici sa propre histoire, écrite par lui, et qui est pour tout dire un résumé de la mienne ’» (Agadir, p. 116) .

Dans nombre de textes, le récit s’oriente vers l’exploration du moi qui s’élabore à travers une prolifération de séquences. Celles-ci livrent une mémoire vive dans la frénésie langagière et le dérèglement des sens qui se perd dans ses méandres et sa propre construction labyrinthique. Le texte éclate en constellations d’images, comme celles, récurrentes de l’eau et du sang dans Histoire d’un Bon Dieu (p. 164-168) , en visions lucides : « ‘Le sort est une conspiration d’images qui te remplacent. Pour te refaire’. » (Histoire d’un Bon Dieu , p. 163), en évocations hallucinatoires et fantasmatiques (Histoire d’un Bon Dieu , p. 164-165) 533.

Le champ diégétique d’Une odeur de mantèque se nourrit du rêve et de la mémoire faisant surgir de l’enfance lointaine des « ‘lambeaux » de vécu qui déjà « préfigurait la fin du monde »’ . (Une odeur de mantèque , p. 60) . Ainsi, le souvenir confondu avec le rêve retient de ce retour à l’enfance saccagée, la figure abrégée du père : « ‘Redevenu enfant, Pa et moi étions en train d’attendre ’» (p. 60) . Il restitue l’attente vaine, celle du bus qui n’arrive pas parce qu’il dérive de son itinéraire habituel, l’absence du père au coeur de cette épreuve pour l’enfant en « examen de passage » (p. 60) , le père qui « s’est évaporé en cours de route » , la solitude de « moi » dans un espace qui se dérobe à lui « vaste, long, vertigineux, à l’infini » (p. 60) . La mémoire investie par l’hallucination fait renaître le désarroi que traduisent les expressions sonores : la scie électrique, le hululement de l’enfant-oiseau, l’étrange dialogue entre « moi » et « le chien » , à la « voix éraillée » (p. 61) , désarroi de l’attente de ce « qui n’avait pas eu lieu » (p. 61) . Une nouvelle fois, le récit traduit le manque, le ratage, l’acte manqué, la mémoire de la frustration et de la vacuité.

« ‘Avant, bien avant (. . . ) son exil’ » (Une odeur de mantèque , p. 86) , l’écriture de « la mémoire rébarbative » tente de restaurer le lien perdu par la proximité avec un espace/temps identitaire, celui de l’enfance « sudique » . Or, la mémoire en narration ne retient que le négatif d’une vie marquée par la violence, la lutte, la marginalisation et le pouvoir corrupteur.

Chez Khaïr-Eddine, le retour à soi, cette tentative scripturale d’ancrage d’un discours intérieur, s’effectuent dans la difficulté et l’hésitation : ‘« il est donc chez lui et c’est encore la nuit point une obscurité totale point la nuit noire mais une pénombre’ » (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 17) . La narration rend compte du trouble et de l’angoisse que suscite une telle plongée en soi, dans cette nuit intérieure, omniprésente : « ‘Il se baisse et son regard plonge dans un puits insondable. ’» (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 21) .

Pour dissiper cette angoisse de la confrontation avec sa mémoire et soi-même, la narration bifurque souvent vers un dire évoquant les premiers émois d’une enfance que l’écriture cherche à retrouver : ‘« Chez lui ! Chez lui maintenant et toujours (. . . ) Il y est revenu mais est-il encore cet enfant qui retournait les galets d’une main experte à la recherche des anguillons ? Il y revit en mémoire maintenant que tout est consommé, hors de propos, que les fillettes qu’il connaissait sont devenues mères, s’alourdissant sous la graisse d’un époux (. . . ) À Casa, la fillette de ses nuits et de ses tressaillements lui prenait de force le zizi, s’en frictionnait le clito, l’introduisait dans sa vulve, puis l’abandonnait lui disant, je reviendrai demain soir.’ » (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 17-21) .

La mémoire se perd dans le souvenir confus des premières expériences sexuelles, rapportées sur un ton outrancier, d’exaspération sexuelle et de paroxysme langagier. D’abord hésitante, la mémoire agitée par le souvenir qui la travaille, livre, dans un langage à la fois décousu, obscène et subversif, un autre aspect de l’enfance du narrateur dans son Sud natal : « ‘A Tanger parfois. . . parfois chez moi dans la montagne, bled pourri au demeurant, très haut perché, situé entre deux montagnes, l’une effrayante, érodée, rabotée par l’érosion. . . l’autre kif un zob de puceau pleurant seulement l’eau du ciel’ » (Une odeur de mantèque , p. 150) .

Il se dégage de cette relation plutôt agressive qui mêle l’initiation sexuelle menée par les femmes, le viol de l’enfant par ces femmes impudiques, un symbolisme majeur, relatif à cette montagne, omniprésente dans l’oeuvre de Khaïr-Eddine. En effet, l’initiation sexuelle évoquée s’inscrit dans un lieu hautement fantasmatique : « ‘M’a emmené avec elle assez haut dans la montagne, la montagne fendue partout large comme un con’ » (Une odeur de mantèque, p. 153) et « effrayante » , comme le rappelle la mémoire au début de cette séquence (p. 150) .

Chez Khaïr-Eddine, la montagne reste dans toute l’oeuvre un espace rattachée à la figure maternelle. Son apparition dans cet épisode initiatique de l’enfance du narrateur, vient tisser de nouveaux rapports entre le sexuel, l’originel, le maternel et la frénésie langagière qui s’empare ici de l’énonciateur. C’est vers cette montagne mythique et matricielle, « ‘douloureusement incrustée dans sa peau’ » (Une odeur de mantèque , p. 160) que convergent tous les désirs de l’exilé du Sud, le narrateur, tout berbère errant dont l’écrivain lui-même. C’est vers cette montagne originelle que le texte Une odeur de mantèque est désormais déporté en sa fin.

En effet, les dernières séquences (p. 156-166, 167-171) de ce récit célèbrent les retrouvailles avec le Sud d’abord sur un ton d’exaltation de l’enfance marquée par la découverte du sexe maternel : « Ouais, ouais j’ai vu j’ai bien vu, gars, son con à elle, à maman, c’était beau » (p. 156) . Ensuite, l’évocation plus sereine de la terre et surtout de la montagne donne libre cours à une représentation grandiose et lyrique où le verbe poétique traduit des moments privilégiés : « ‘Noces de soleil et d’ombres, de couleurs originelles qui ne procurent plus qu’un apaisement souverain, une antique gloire oubliée sous les fumées et les maléfices dont l’agitation du Nord pétrifie les villes. . . Ainsi commencent les retrouvailles de l’homme et du pays (. . . )’ » (p.160).

Dans Légende et vie d’Agoun’chich , des pages relatent ces retrouvailles de façon si détaillée qu’elles constituent les traces de l’expérience renouvelée de ce type de rencontre avec la montagne et la nature « sudiques » féminisées. La montagne n’est-elle pas haut lieu de mémoire matricielle ? L’écriture sur soi révèle, par ailleurs, un désir de retour à l’enfance, espace et temps irremplaçables, ainsi qu’à la mère. Ce retour n’est possible que par le rêve et la mémoire. Tout un imaginaire de l’enfance tente de revivre à travers le(s) récit(s) .

La mère et la parole imaginaire, toutes deux associés à l’enfance par la culture, subissent la même « répudiation » et sont enveloppées du même voile de la censure. Dire l’une et l’autre est un acte de dévoilement et de transgression. Restituer l’une, c’est aussi raconter l’autre car, la mère et l’imaginaire qu’elle marque de son empreinte, structurent l’univers de l’enfance.

Si le père est l’objet d’une transgression qui le vise en tant que pouvoir, la mère, quant à elle, apparaît à travers une image ambivalente. Lorsqu’elle forme avec le père honni un couple de monstres dénaturés : « ‘papa-le -mauvais-zèbre et maman-la-vieille-chienne » , la mère « est plus vile encore que toutes les chiennes et les hyènes du monde réunies. ’» (Le déterreur , p. 12) . Elle semble alors comme contaminée par la négativité du père dans un rapport sexuel impur que connote le symbolisme animal relatif à la chienne et à l’hyène, renvoyant aussi à la mauvais mère. Animalité nourricière, « ‘Maman-le-lait-de-mes-ténèbres visqueuses’ » , la mère, ogresse trempant ‘« ses doigts. . . dans la croyance des apocalypses primaires’ » (Le déterreur , p. 12) est associé au domaine de l’ombre profonde qui est aussi celui de l’imaginaire, symbolique à laquelle renvoie aussi ce microcosme qu’est la tour/prison, le corps/puits du narrateur du Déterreur .

Malgré son rapport avilissant avec le père, le fils tente de disculper la mère : « ‘je n’ai pas dit et n’écrirai pas que maman était complice’. »La complicité s’installe, par contre, entre le fils et la mère qui témoigne sa confiance au coupable – « ‘elle se disait, dès qu’elle m’avait endormi, c’est le coupable en qui je dois avoir confiance. ’» (Le déterreur , p. 12) - par le biais de l’exil : « On m’exila dans le Sud » où la mère est répudiée.

Or, l’écriture ne cesse d’évoquer l’absence maternelle : « ‘Quand je pense à ma mère, quand je me la représente, c’est qu’elle n’est pas là ’» (Le déterreur , p. 120) ce qui révèle aussi la fixation et l’investissement massif sur cet objet primaire qu’est la mère d’autant plus intenses et adhésifs que cet objet est perçu comme gravement manquant. « ‘C’est bien l’affect qui fonde l’identité du sens ’» 534 . Les éprouvés peuvent être positifs : À l’instar de ces « crayons de couleur bleus avec quoi je griffonnais sur les murs, les portes et les fenêtres » (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 132) , offerts par l’oncle maternel. l’écriture de la mémoire, écriture de soi devient aussi écriture sur le mur - toute écriture ne l’est-elle pas ? ! - inscrivant çà et là, des morceaux de soi.

Il nous semble que ce manque est à mettre en rapport avec une certaine difficulté de verbalisation et de symbolisation que nous avons décelée dans l’écriture. La place et le rôle des souvenirs du corps sont importants mais difficiles à réintégrer dans le cours de la vie psychique marqué par ce manque. Il nous apparaît que cette mémoire dans ses liens avec la mère, pose la question de comment passer du corps parlant au corps parlé et au corps écrit ?

De ce point de vue, la dépossession qui revient sans cesse induisant la recherche de l’unité fusionnelle perdue provient de tout risque de rupture/séparation dont il faut alors détecter les traces sensorielles sous leur forme hallucinatoire : « Elle n’est plus, dans mes rêves, qu’un feu follet vite dissipée, pas même une ombre, et chaque fois que j’essaie de l’approcher, de me plonger de nouveau dans son sourire, elle se dématérialise, s’effilochant complètement, me rejetant dans des songes confus où rien jamais rien ne sanctionne ma quête mais où tout fuit, dérivant peut-être d’une poussière de cimetière tel qu’il existe ici, couvert d’herbes sèches et de ronces, répugnant à tout ce qui vit, siffle et s’agite, même aux cigales qui vont s’accrocher aux tamaris du torrent tout près de cet alignement de squelettes qui doivent hurler sans que je puisse maintenant les entendre » (Le déterreur , p. 120) . À travers le travail de la mémoire et de celui du rêve, l’être tente de saisir son moi naissant dans le visage/miroir de la mère, dans sa présence recherchée au niveau de la plupart des textes fondateurs de l’oeuvre.

L’écriture rend compte de la place de la mère comme témoin privilégié des commencements de l’être. Elle est bien « ‘ce réceptacle qui insuffle une âme et donne un corps’ »535 . Le visage de la mère est associé à l’aspect vital de la création. La mère figure la naissance au langage de la création. Elle est figure de la création536. Or, de ceci, l’écriture parle mais en pointant le manque, l’absence et le passage à l’écriture : ‘« Autre incommodité : avoir trop longtemps tété le sein de ma mère. Un jour, elle en barbouilla la pointe avec une résine noire et amère. Je laissai donc tombé ce sein renflé et beau mais je ne l’oubliai pas totalement. Je devins agressif, pleurnichard et morveux. J’appris à lire et à écrire. ’» (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 136) . Ce propos retiendra notre attention dans la mesure où la narration qui le porte associe le sevrage, décidé par la mère et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Ainsi, l’initiation à l’écriture et à lecture correspond bien pour le narrateur à la séparation forcée avec le maternel et le langage du corps, à l’éloignement obligé par rapport à un univers psychophysiologique que le narrateur se refusait à quitter. La perte évoquée d’une relation fusionnelle, d’une symbiose avec le maternel n’est pas sans lien avec la mise à distance que le narrateur rappelait auparavant, toujours à propos de sa mère : « ‘Ma mère était extrêmement belle, ce pourquoi j’essaie de l’oublier. . .’ » (Une vie, un rêve, un peuple toujours errants , p. 132) .

La mémoire restitue mais semble être en même temps qu’elle est conservation, dessaisissement qui fonde l’expressivité du sujet écrivant537 . Le travail des mots, de la mémoire et de l’écriture participe de ce dessaisissement. Or, pour nous ce dessaisissement est à la fois intéressant du point de vue du corps de la mère, le sevrage évoqué plus haut mais il l’est aussi du point de vue du processus de l’écriture dans le rapport à l’oralité en lien avec le corps maternel inaugural. Les deux aspects sont en fait liés ici.

Il est utile de noter alors que l’écrivain maghrébin, qu’est Khaïr-Eddine pose la question de la création dans son lien avec celle de la parenté ; il rend compte d’un système anthropologique qui a à voir avec l’oralité, réitérant l’appartenance au système de la répartition généalogique et affirmant le lien de son écriture avec ce système. En plus, de toutes les évocations de différentes natures de la mère, la récurrence du mythe de Hamou vient inscrire l’écriture dans ce que l’on peut considérer comme un projet à la fois anthropologique et esthétique.

Ce travail entrepris par l’écriture de la mémoire assure une fonction de maintien de contact qui exprime un besoin de maintenir le lien, l’attachement, ce qui fait attache : « ‘au commencement était le mot mère ’» 538 . Il nous semble que par ailleurs il est possible de rapprocher cette fonction et ce besoin du fonctionnement de l’écriture analysé plus haut, et de considérer notamment les reports et promesses de récits comme lien et attachement. C’est le mouvement de la parole narratrice, dans son rapport symbolique avec la parole-mère qui maintient la mémoire d’un récit qui est nécessairement mémoire de la mère et de son univers.

C’est pourquoi, l’écriture constitue une émergence symbolique corrélative de la dimension d’absence, probablement en mimant à son tour le processus de l’engendrement, en remplaçant la mère et en permettant le jeu subtil des substitutions, ramenant aussi à l’enfance de la création et de l’écriture. L’oeuvre devient l’objet transitionnel qui tient lieu de mère sur laquelle l’enfant aurait tout pouvoir, signe et symbole de la mère, instaurant le corps de l’oeuvre.

La création permet de vivre le passé et le présent psychiques, de revivre l’archaïque. Or, tout ce processus semble se dérouler difficilement dans l’écriture de Khaïr-Eddine. Dans son rapport au corps et à l’oralité perdue et au problème de la mémoire, dans le resurgissement du passé inscrit dans le corps, elle tente de situer le lieu probable d’une expérience traumatique : « Souvenirs par ouï-dire ou songes désaccordés, valses imaginaires ou sentiments naissants duvetés se désorganisant au fur et à mesure qu’ils prenaient pied dans ma mémoire, tout cela la niait, la reléguait au fin fond d’une peur indéfinissable qui ne me quitte pas, me distend et m’assène des coups portés depuis belle lurette à ma famille, nageant comme des bacilles dans mon sang, me bandant les yeux et me tuant à longueur. » (Le déterreur , p. 122) . Il nous semble que cette difficulté se lit dans les troubles de la mémoire qui ne manquent pas de se répercuter sur l’écriture elle-même.

Notes
532.

En gras dans le texte.

533.

Cf. p. 160-163 et suivantes, à propos des fantasmes

incestueux et du rapport avec le père.

534.

Michel LEDOUX. op. cit. p. 137.

535.

Dont parle Winnicott.

536.

Nabile FARES. op. cit. p. 190.

537.

Didier ANZIEU. Le corps de l’oeuvre, op. cit. montre que

c’est là l’une des phases du travail créateur, inscrite dans

le code de l’oeuvre.

538.

Claude HAGEGE. Autrement, N°90, mai 1987.