7. La sauvagerie de la rencontre

Les regards tournés vers l’étrangeté de la parole maintiennent les interlocuteurs dans des états à la fois “ désoeuvrés ” et zélés. Ils essaient de traduire une violence originaire face à l’imminence d’une certaine parole.

Ils sont prêts à payer le prix pour approcher le désastre initial, imaginaire. Le point d’incarnation parvient à sa finalité par le cri, les empoignades sauvages, les moments égarés.

Le cri n’est pas l’expression d’une souffrance communicable qui serait celle d’un deuil, mais plutôt celle de son impossibilité. Il n’est pas davantage l’expression d’une blessure narcissique due à l’incapacité d’atteindre un idéal. Il traduit non pas une scène vécue douloureuse mais une vérité oubliée de cette dernière. C’est le corps qui prend en charge cette oublieuse expérience.

Dans Au moment voulu, un cri considérable éclate à la suite des paroles que le narrateur adresse à Claudia, mais nul indice ne nous aidera à déceler les causes de cette réaction surprenante.

‘“ «  —Vous êtes une fille étrange. Tant de volonté, tant de courage, une âme si forte, et tout cela... pour rien . »
Elle m’enveloppa d’un terrible regard et comme si elle eût continué le réveil, elle se rejeta en arrière en poussant un cri prodigieux, un véritable hurlement**.
Un peu après, je l’interpellai gaiement : «  Eh bien, ça a été une bataille terrible ! » Mais elle me fit un signe de la main. Cependant, elle reprit haleine et s’en tira avec quelques mouvements pour assouplir et calmer sa gorge, peu faite pour de telles vociférations. ”664

Crier, issu de quiritare, évoque l’expression d’une onomatopée. Nous pouvons le rapprocher également de la phonè aristotélicienne, qui indique un son inarticulé, un magma qui se fait l’écho de quelque chose d’inaugural. Il manifeste l’incapacité d’éprouver par le sentiment des reproductions d’événements anciens. Il demeure éloigné de toute représentation, il “ tend à excéder tout langage ”.665 Le personnage a “le sentiment de hurler dans un autre monde”666, cela devient “l’écho du mot il y a.”* 667

Claudia, le narrateur ou bien Judith668 poussent des cris d’une manière inopinée, ces derniers deviennent “l’oeuvre d’un instant”669. La tension parcourt le récit par intermittence . Elle ne fait pas naître la terreur mais un trouble passager.

C’est en venant rendre visite à Judith qu’il n’a pas vue depuis longtemps que le narrateur fait la connaissance de Claudia. Cette rencontre bouleverse les protagonistes du récit. Claudia pousse alors “ ‘un cri qui lui sembla naître, jaillir du souvenir vivant de son nom’ ”670 . Le narrateur se trouve alors dans “ ‘une immobilité éternelle ” 671, “ peu attentif à sa présence ’”672 . C’est ainsi que Claudia le regarde avec sa vérité. Seule importe “ la vérité de ce frôlement ”.673 Un tel cri, curieusement, ne se laisse pas entendre. Il s’est manifesté intérieurement, mais il a été perçu.

Il se produit souvent à la suite d’un événement en apparence insignifiant. “ ‘Je découvris qu’il continuait de neiger’ ”674. Il exprime “ plus qu’une parole ”675 , dans un moment irremplaçable non point de folie, d’hallucination, mais de pur abandon. Il rend compte d’une effraction, d’un pur signifiant, d’un autre de soi. C’est une énergie pulsionnelle déclenchée à partir d’un regard, d’une parole, d’un geste qui donnent l’impression de faire corps avec une chose irreprésentable. Les personnages se trouvent alors hors d’eux-mêmes. Le cri peut traduire l’effroi, l’écho de l’archaïsme d’une pensée, l’écho d’une réponse au désir adressé à l’Autre, au “neutre”.

Celui ou celle qui entend le cri n’est pas toujours effrayé par la violence produite. Cela peut l’enthousiasmer.

Après avoir hurlé deux mots, Judith s’effondre sur le lit. Le narrateur assiste à la scène. Il la commente d’une manière quasi jubilatoire.

‘« Scène terrible mais qui me laissa une impression de joie, de plaisir sans limites.** Cette admirable tête s’était exaltée, quoi de plus vrai, et qu’elle eût été ensuite jetée plus bas que terre, cela n’appartenait pas moins à l’exaltation, c’en était l’évidence, le moment où il ne s’agissait plus d’adorer la majesté d’un débris, mais de saisir et de déchirer [...]. 
Quand l’homme a vécu l’inoubliable, il s’enferme avec lui pour le regretter, ou il se met à errer pour le retrouver ; ainsi, il devient le fantôme de l’événement**. Mais cette figure ne se souciait pas du souvenir, elle était fixe mais instable. Avait-elle eu lieu une fois ? Une première fois et cependant pas la première. Elle avait avec le temps les rapports les plus étranges, et cela aussi était exaltant : elle n’appartenait pas au passé, une figure et la promesse de cette figure. »676

La parole, avalée par cette dépense pulsionnelle sans visée et sans motif, retourne vers l’imprononçable.

La violence se traduit parfois par de sauvages empoignades que rien ne laisse présager. “ ‘Le mouvement brusque*, le bond presque sauvage’* ” de Judith impressionne le narrateur, “ livré à l’épouvante ”.677 C’est alors qu’une parole lui est révélée “ sous un jour perçant ”678 . Le moment souverain concentré en un point sera celui d’écrire. C’est un moment où s’inscrit un commencement au sein duquel il tente d’avoir une emprise sur les choses. C’est un temps où la parole est illimitée. Il n’accède à cette parole archivale qu’en la contournant, qu’en étant inlassablement livré au hasard. Il espère ramener “ les mots à leur lieu natal ”.679 C’est l’expérience sensible immédiate, celle qui devance l’acte, celle qui rature le mot avant qu’il ne soit écrit, celle qui transforme la parole avant qu’elle ne soit dite. Cette tentative de frayer avec l’impossible dans un temps aboli perturbe, nous l’avons vu, le rapport au monde et à l’autre. Les personnages désirent peut-être se perdre dans le corps de l’autre.

L’érotisme demeure à la frontière de ce qui peut être consenti. Le rapport amoureux peut devenir affrontement, brutalité des corps. Il ressortit moins d’un certain sadisme que d’un désir d’annihiler le corps, la personne. Le narrateur justifie ainsi la violence de Judith :

‘«  Sans un mouvement sauvage, quelle chance aurait-elle eue de s’élancer à ma rencontre ? Mais, pour lui permettre ce bond, il me faut, moi aussi, reculer et reculer encore » 680.’

Ce désir de capture et d’anéantissement constitue un état paroxystique passager.

‘«  Entre mes bras, je sentis passer un terrible orage convulsif, et pour demeurer avec elle, je dus répondre à l’appel formidable qui en cet instant s’élevait du fond du jour, la rage me souleva, je l’empoignai à bras-le-corps** et, l’ayant ressaisie à travers l’ébranlement et la chute immobile de nos deux corps ensemble, je la maintins fermement à l’écart de l’illimité. Peu à peu, elle retrouva de l’air, une légère vie individuelle, et comme je ne la lâchais pas, hâtivement elle murmura quelque chose, mais pour donner une revanche au chaos, je l’empêchai de sortir de cet instant. »681

Cette saisie à bras-le-corps est également celle qui se produit dans L’Arrêt de mort. Le narrateur, étendu sur son lit, dans sa chambre d’hôtel, constate qu’une personne est entrée. Arrivée au milieu de la pièce, Nathalie heurta la table. Elle eut “ un ricanement de peur et fila comme une flèche ”.682 Cette situation mit le narrateur hors de lui.

‘« La voyant bondir vers l’air libre, l’instinct de proie me saisit, je la rattrapai vers l’escalier, la pris à bras-le-corps** et la ramenai en la traînant à terre jusque sur le lit où elle tomba tout à fait ».683

De même dans Le Très-Haut, à la fin du récit, Jeanne l’infirmière s’apprête à partir un moment. Elle demande au narrateur de l’embrasser et elle essaie de le “ prendre à bras le corps ” 684 , de franchir une limite, celle du corps, qui donnerait accès à un toucher “ réel ”685 de l’autre, à l’opacité de Thomas, ce qui entraîne attraction et rejet.

‘«  Comme son buste commençait à adhérer au mien, elle se dégagea convulsivement et fit un bond en arrière » .686

Le rejet de l’infirmière, tout comme son élan, a partie liée avec l’incapacité d’atteindre le lieu où séjourne l’autre.

Dans les lettres adressées à Milena, Kafka commente la force de l’attrait et le danger qui en découle. Il parle de sa faiblesse et d’une force capable de démesure. Lui qui pensait être “ le pion d’un pion ” sur le grand échiquier aimerait occuper toutes les places du jeu mais “ ‘il faudrait que cela arrive par d’autres moyens plus inhumains’ ”.687 Maurice Blanchot commente cette lettre en insistant sur cette force extraordinaire qui cependant ne permet pas d’atteindre un but.688

Dans tous les cas, le contact physique n’est pas évité, mais il ne semble pas aboutir à un accomplissement de désir. Françoise Collin rappelle que dans tous les récits de Maurice Blanchot la présence de l’éros “ ‘est toujours indirecte : il est ce qui n’arrive jamais’”.689

Rien ne présage l’union des corps. Celle-ci demeure allusive. Cependant, dans L’Attente l’oubli, nous assistons aux prémices de cette union charnelle qui peut être, cette fois, qualifiée d’union amoureuse.

‘«  Il se rappelle qu’elle demeure là immobile, et pendant qu’il l’aide à retirer quelques vêtements sans rompre avec l’immobilité, n’attendant pas qu’elle cesse de lui parler et lui-même lui disant : de quoi vous souvenez-vous à présent ? Il l’attire, la saisit, lui parcourt le visage, tandis qu’elle se laisse glisser, les yeux tranquillement ouverts, présence immobile détournée de la présence. Seule sa main, une main qu’elle lui a docilement abandonnée se retient encore, chaude et remuante, comme un petit être lisse qui s’agiterait pour chercher la nourriture. »690

Le lendemain, il ne sera pas fait mention de rapport physique. Le dialogue rendra compte seulement des paroles échangées une grande partie de la nuit.

L’acte amoureux est le plus souvent un acte destructeur, violent. Il met en jeu des corps qui ont une froideur de pierre, des sujets dépourvus de sentiments.

La lutte n’est pas une lutte amoureuse ; c’est une lutte qui laisse advenir le rapport humain “ ‘terrible, tel qu’il s’affirme dans sa primauté’”.691 C’est un rapport qui ne réclame aucune entremise, aucun interprète, “‘un rapport nu, sans mythe, pur de religion, libre de sentiment, privé de raison subordonnée et ne pouvant donner lieu ni à jouissance ni à connaissance’ ”692, exposé à la violence d’autrui car “ irréductible à toute mesure ”.693

Le déchaînement des corps devient une “ ‘lutte barbare et comme indifférente à son enjeu’ ”.694

‘“ Le mot latin barbarus est repris du grec barbaros qui désignait les non-Grecs, mot formé sur une onomatopée évoquant le bredouillement, l’expression incompréhensible”.695

Le balbutiement est celui de Thomas face à l’infirmière, il ne maîtrise plus ce qu’il dit ni ce qu’il fait. Il y aurait une “ existence non-verbale ”696 de pensées qui voudraient se manifester.

La lutte semble “‘la prise à partie de deux êtres qui ignorent ce qu’ils veulent et se mesurent parce qu’il le faut’”.697

Le personnage ne se préoccupe pas des conséquences de ses actes. Les décisions semblent provenir d’ “ un arbitre étranger ”698, d’une puissance extérieure et non de la volonté des êtres. Ils sont agis par cette puissance. La lutte n’entraîne aucune émotion particulière.

‘«  Même quand elle cessa de se débattre, se tournant à la fin un peu vers moi, il n’y eut de sa part ni consentement ni abandon, pas plus que dans son effort pour me rejeter il n’y avait eu refus ou résistance absolue. A aucun moment, elle ne montra de l’impatience ou de la gêne ou un sentiment quelconque. »699

L’effet d’étrangeté provient de l’importance accordée à ce qui s’écarte de la norme, des perceptions habituelles. Il s’ensuit un intérêt toujours grandissant, le récit attise notre curiosité. L’économie narrative concernant l’union des corps participe de ce même effet. Elle est à peine suggérée en raison peut-être de sa nature inénarrable.

Dans Le Très Haut, nous apprenons, au détour d’une phrase, que le narrateur retient parfois l’infirmière la nuit. “ Elle n’exprimait ni résistance ni empressement, chaque fois que mes mains la retenaient ”.700 Quelques pages plus loin, la jalousie du narrateur envers Roste confirme cette liaison.

‘«  — Ainsi, vous vivez avec moi, mais vous vivez aussi avec lui !
— Cela me regarde, répéta-t-elle en s’adossant au mur. »701

L’eros peut se loger dans la description d’un simple fait, d’une scène quotidienne ou d’un état intérieur au moyen de métaphores suggestives. Françoise Collin pense à juste titre qu’ “‘il tisse [...] la trame de toute l’écriture’ ”.702

Dans Le Très Haut, à la suite du fracas d’une explosion, le narrateur reste fasciné par une tache du mur que Dorte tâte de sa main.

C’est alors ‘“ le bruit croulant [qui] ouvrait [...] un orifice noir .” Il observe « l’épaisse tache humide ” [...] sans contour, sortant des entrailles du mur comme le suintement d’une humeur, ne ressemblant ni à une chose ni à l’ombre d’une chose, coulant et s’étendant sans former ni une tête ni une main ni une chose, rien qu’un épais et invisible ruissellement ».703

Quelle que soit l’intensité des scènes décrites, l’auteur ne cherche sans doute pas sciemment à utiliser une écriture du double sens. Même si la métaphore “ les entrailles du mur ” évoque quelque chose de charnel, elle garde son degré d’abstraction. L’écriture révèle peut-être ce que Louis-René des Forêts nommait “ une modulation secrète ”, une “ ‘pulsation intérieure, la scansion de l’être’ ”.704

La violence se traduit également dans les propos échangés. Dans Le Très-Haut, Jeanne l’infirmière affirme au narrateur qu’elle n’a cure de ses sentiments. Elle ajoute :

‘«  — Je vous enfermerai comme un chien. Personne ne saura rien de vous, personne que moi ne vous aura vu ».705

Curieusement, cette menace ne semble pas effrayer le narrateur. Il s’ensuit des cris, des crachats, des mouvements impulsifs, des gestes d’approche et de répulsion.

La violence n’est pas synonyme d’agressivité. Elle surgit sans cause apparente ni conséquence. Elle exprime une sauvagerie, une effraction. L’auteur nomme sauvagerie “ une interruption en quelque sorte absolue et absolument neutre [...] antérieure à toute parole et tout silence”706 . Elle ne provient pas du personnage mais d’une force extérieure “ ‘pareille au souffle du tremblement de terre, qui secouait, renversait les êtres’”707. Le narrateur de L’Arrêt de mort est contaminé par cette tempête qui pourrait le pousser à accomplir les actes les plus violents.

‘«  J’aurais pu à un tel moment tout faire : lui casser le bras, lui écraser la tête ou m’enfoncer le front dans le mur » .708

“ Cette force furieuse ” n’est pas spécialement dirigée contre N(athalie) qui vient d’entrer “ ‘dans une pièce lugubre d’hôtel’ ”,709 mais le narrateur souhaite “ ‘l’empêcher d’aller perdre au-dehors cet esprit de terreur’ ”.710 La peur, l’effroi, les mouvements instinctifs sont partagés par le partenaire. Tous deux s’exposent et se laissent envahir par “ ‘une puissance sans but’”.711 Cette dernière peut survenir alors qu’ils se trouvent dans un état de faiblesse et de passivité extrêmes.

La parole n’est pas seulement violente parce que les propos s’avèrent menaçants, destructeurs. Elle est en elle-même violence, “ ‘violence d’autant plus redoutable qu’elle est secrète’ ”.712 Elle s’exerce sur ce qui est nommé, sur ce qui meurt sous le boisseau. Elle est souvent une parole d’effraction.

‘« — [...] La parole est guerre et folie ou regard. La terrible parole passe outre à toute limite et même à l’illimitée du tout : elle prend la chose par où celle-ci ne se prend pas, ne se voit pas, ne se verra jamais ; elle transgresse les lois, s’affranchit de l’orientation, elle désoriente. »713

La parole est désir car l’épreuve d’un manque radical s’exprime par le langage. Elle rappelle aux interlocuteurs ce dont ils sont exilés : la parfaite connaissance du monde et des êtres et elle les entraîne à se retirer parfois du monde afin d’approcher le lieu irreprésentable.

Ce désir non pressenti, dans son dialogue impossible avec toute signification, trace une sorte de ligne de fuite vers laquelle s’orientent les personnages. Ils se projettent vers un lieu indécidable où une rencontre effective, entière pourrait se produire. Ils font l’expérience de rencontres amicales voire amoureuses mais en traduisant, toujours vainement, ce que chacun porte en soi de plus inconnaissable.

Il peut en découler une violence née du manque à être, ce manque n’est pas vécu comme une fatalité, un malheur même s’il entraîne parfois une certaine angoisse. Il s’instaure une inadéquation entre ce qui est désiré, entre l’aspiration de retrouver la jouissance originaire et ce qui est exprimé de ce désir. La demande est démesurée. Les personnages ne trouvent alors aucun point d’ancrage mais des points de dérive. Ils se heurtent à la vérité du tourment de l’autre.714 Ils se cherchent. “‘Réunis, attendant de l’être’”.715 Ils visent la perennité du désir, attestent de sa présence immodérée et en même temps le fuient, car ce désir témoigne de la présence inquiétante du désir de l’Autre.

Les traces mnésiques, les signifiants inscrits dans leurs paroles ne les renseignent pas sur l’objet de leur désir. L’homme et la femme de L’Attente l’oubli cherchent “la pauvreté dans le langage”716 qui refuse toute présomption car “‘toujours, pour elle, il y avait trop de mots et un mot de trop, de plus des mots trop riches et qui parlaient avec excès’”.717 L’Autre n’existe pas, c’est cette inexistence qui lui assure un attrait irrésistible. L’homme et la femme font l’expérience non pas d’un objet perdu mais de la perte elle-même.

La question du désir s’inscrit dans le questionnement de la vérité que poursuivent tous les personnages. L’auteur s’interroge longuement sur la vérité du désir qui se pense sur le mode de l’Etre chez Heidegger. La vérité devient non pas le dévoilement, l’affirmation d’une présence mais l’événement du dévoilement. En revenant à la pensée grecque, à l’étymologie d’alèthéia, l’auteur fait remarquer que le mot traduit communément par “dévoilement” peut aussi se traduire par “désabritement”, conformément à la signification qu’en donne Platon dans Le Cratyle. C’est ce qui entraîne l’errance, l’arrachement à la maison de l’être.718

Le désir est nommé dans la scansion, le rythme, les cris, les débordements mais aussi dans toute parole. Les empoignades des corps prouvent à quel point les personnages s’adonnent à l’expérience de la transgression : c’est une conséquence obligée car ils ne peuvent se dépasser qu’en enfreignant les limites. Les bonds sauvages du narrateur, de Judith dans Au moment voulu ouvrent les limites sur l’illimité, ils se tournent vers les plus grandes pertes et les plus grands risques. L’érotisme devient le lieu de cette expérience de la transgression.

Les personnages, dépossédés d’eux-mêmes, risquent les paroles puissantes, les cris, les bonds sauvages, car la rencontre est “‘ce qui vient sans venue’”719 , elle “‘perce le monde, perce le moi’”.720 Les êtres s’affrontent pour inventer “une relation nouvelle”.721

Notes
664.

Maurice Blanchot, Au moment voulu, p. 117.  p. 106, nous retrouvons les mêmes termes pour qualifier le cri : “ à peine eut-elle touché mon regard qu’elle poussa un cri prodigieux, presque un hurlement et sans doute fit-elle un mouvement en arrière ”. Egalement, p. 90, c’est le narrateur qui pousse  “un cri prodigieux, presque un hurlement”.

665.

Maurice Blanchot, L’Ecriture du désastre, p. 86.

666.

Maurice Blanchot, Le Très Haut, p. 233.

667.

Maurice Blanchot, Le Dernier mot, in Après Coup, p. 66 : “ hurlements tremblants, étouffés, qui, à cette heure du jour, retentissaient comme l’écho du moi il y a*.

“Voilà sans doute le dernier mot”, pensai-je en les écoutant.”

Ce sont les chiens qui recommencent à hurler après le départ du narrateur.

668.

Maurice Blanchot, Au moment voulu, p. 132 : “Judith avec une vivacité prodigieuse, se dressa, hurla deux mots, puis s’effondra sur le lit.”

669.

Ibid., p. 32.

670.

Ibid., p. 22.

671.

Ibid., p. 19.

672.

Ibid., p. 19.

673.

Ibid., p. 25.

674.

Ibid., p. 90.

675.

Ibid., p. 90.

676.

Ibid., pp. 132-135.

677.

Ibid., p. 86.

678.

Ibid., p. 87.

679.

Maurice Blanchot, Celui qui ne m’accompagnait pas, p. 133.

680.

Maurice Blanchot, Au moment voulu, p. 151.

681.

Ibid., p. 124.

682.

Maurice Blanchot, L’Arrêt de mort, p. 67.

683.

Ibid.

684.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 242.

685.

Jacques Lacan fait de ce terme un substantif. Il a emprunté à Georges Bataille la notion de réel qui désigne “une réalité immanente à la représentation et impossible à symboliser.” Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, p. 880. Jean-Paul Sartre parle de “ l’altérité, l’irrationalité, l’opacité du réel.”

686.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 242.

687.

Maurice Blanchot, De Kafka à Kafka, p. 170.

688.

Ibid., p. 170. “ Telle est donc la passion de Kafka, cette force prodigieuse qui l’anime, lorsqu’il tend vers Milena (mais trop forte pour ne pas tendre infiniment au-delà. ”.

689.

Françoise Collin, Maurice Blanchot ou la question de l’écriture, p. 132.

690.

Maurice Blanchot, L’Attente l’oubli, pp. 153-154.

691.

Maurice Blanchot, L’Entretien infini, p. 84.

692.

Ibid.

693.

Ibid.

694.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 195.

695.

Alain Rey, Le Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française, p. 179.

696.

Mérab Mamardachvili, “ La typologie psychologique d’un chemin”, in Europe, revue littéraire mensuelle, Littérature & Philosophie, n° 849-850, janvier-février 2000, p. 101. Au sujet de “l’existence verbale d’expériences non-vécues et l’existence non-verbale d’expériences vécues”, Mérab Mamardachvili propose l’expression paradoxale : “la parole intérieure non-verbale”. Le mot “non-verbal” désigne “une expérience vécue qui a une existence propre, individuée”.*

697.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 195.

698.

Ibid.

699.

Ibid.

700.

Ibid., p. 206.

701.

Ibid., p. 223.

702.

Françoise Collin, Maurice Blanchot et la question de l’écriture, p. 133.

703.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 188.

704.

Louis-René des Forêts, Voies et détours de la fiction, Fata Morgana, 1985, p. 10.

705.

Maurice Blanchot, Le Très-Haut, p. 228.

706.

Maurice Blanchot, L’Entretien infini, p. 111.

707.

Maurice Blanchot, L’Arrêt de mort, p. 68.

708.

Ibid.

709.

Ibid., p. 69.

710.

Ibid.

711.

Ibid., p. 68.

712.

Maurice Blanchot, L’Entretien infini, p. 60.

713.

Ibid., p. 40.

714.

Maurice Blanchot, L’Attente l’oubli, p. 94.

715.

Ibid., p. 95.

716.

Ibid., p. 19.

717.

Ibid.

718.

Maurice Blanchot, L’Ecriture du désastre, pp. 147-149.

719.

Ibid., p. 608.

720.

Ibid.

721.

Ibid., p. 40.