1.2 Anatomie du système visuel chez l’Homme

Les informations visuelles multiples qui parviennent à la rétine sont traitées dans les diverses aires sous-corticales et corticales le long des voies visuelles pour être intégrées en une représentation structurée et stable, ce qui nous permet alors de ’voir’ les objets en faisant complètement abstraction des caractéristiques de l’image rétinienne. Le nombre connu des aires corticales impliquées dans l’analyse visuelle n’a cessé d’augmenter depuis le début des études anatomiques et neurophysiologiques effectuées chez les primates (Hubel et Wiesel, 1968).

Il a récemment été montré qu’une trentaine d’aires corticales étaient impliquées dans la vision chez le singe et probablement plus chez l’Homme (Felleman et Van Essen, 1991). L’étude plus systématique de leurs connexions anatomiques et de leurs propriétés fonctionnelles a permis de mieux comprendre le système visuel des primates (singe et Homme). Les premières hypothèses de traitement liées à une organisation hiérarchique et parallèle des structures sous-corticales et corticales voient le jour dans les années quatre-vingt (Van Essen, 1979; Van Essen et MAunsell, 1983). Il est supposé, via des connexions intra- et inter-corticales de trois types (’feed-forward’, ’feed-back’, ou latéral), que plus on monte dans la hiérarchie, plus le traitement de l’information visuelle est intégré (et inversement), et qu’à l’intérieur d’un même niveau hiérarchique les traitements effectués par les différentes aires sont qualitativement distincts.

Grâce aux nouvelles techniques d’imagerie fonctionnelle, les études électrophysiologiques menées chez le singe ont pu être conduites chez l’Homme et ont ainsi permis d’établir une analogie entre les aires visuelles du singe et celles de l’Homme. En dépit de l’existence d’outils de plus en plus précis, le système visuel demeure globalement moins bien connu chez l’Homme que chez le singe (Engel et coll., 1994; Sereno et coll., 1995; DeYoe et coll., 1996; Tootell et coll., 1996). Par ailleurs, de nombreuses controverses persistent, comme celle portant sur l’absence d’homologie entre certaines aires décrites chez l’Homme et celles connues chez le singe (Figures 1 et 2).

Le traitement des informations visuelles débute dans la rétine, qui est composée d’un réseau de cellules réceptrices (cônes et bâtonnets), de cellules relais (cellules bipolaires), de cellules projetant à l’extérieur de la rétine (cellules ganglionnaires subdivisées en deux grandes classes P et M) et d’interneurones (cellules amacrines et horizontales). Les informations sont transmises, via les cellules ganglionnaires dont les axones forment le nerf optique, vers un premier relais thalamique constitué par le noyau géniculé latéral (NGL).

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Figure 1. Organisation schématique sur un cortex aplati des aires visuelles identifiées chez l’Homme et chez le singe. Le choix d’une même couleur indique l’homologie entre les aires identifiées chez l’Homme et chez le singe (d’après Reppas et coll., 1996).
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Figure 2. Topographie des aires visuelles identifiées chez l’Homme grâce aux méthodes d’IRM fonctionnelle couplées aux méthodes de déploiement du cortex. A - Vue dépliée du cortex, B-C-D - Modèle tridimensionnel du lobe occipital (d’après DeYoe et coll., 1996).

Deux types de couches cellulaires ont été distinguées dans le NGL : les couches parvocellulaires, au nombre de quatre, recevant les projections des cellules ganglionnaires de type P et impliquées dans la discrimination des couleurs et des formes statiques, et les couches magnocellulaires, au nombre de deux, recevant les projections des cellules ganglionnaires de type M et spécifiquement impliquées dans la détection des formes en mouvement. De ce premier relais thalamique, les informations sont alors transmises vers le cortex visuel primaire ou aire V1.

L’aire V1, caractérisée par son aspect strié, d’où son nom de ’cortex strié’, correspond à l’aire 17 dans la classification de Brodmann (Figure 3) et est située, chez l’Homme, à la face interne du lobe occipital au niveau de la scissure calcarine. Elle reçoit l’essentiel des afférences visuelles et présente une organisation architectonique en six couches cellulaires. La couche 4 (couche granulaire externe) est particulièrement développée et reçoit les projections du NGL. La ségrégation du traitement de l’information visuelle, commencée dès la rétine via la subdivision en voies P et M, se poursuit au niveau de V1 puisque les couches parvocellulaires du NGL projettent sur la couche 4Cβ tandis que les couches magnocellulaires projettent sur les couches 4Cα et 4B de V1. Les neurones de la couche 4C, organisée en colonnes de dominance oculaire, d’orientation et de couleur, projettent sur les couches 2 et 3 de V1 qui présentent à leur tour une alternance de cellules sélectives à l’orientation (interblobs) et de cellules non sélectives à l’orientation (blobs), poursuivant ainsi la ségrégation en deux voies de traitement visuel à l’intérieur de V1 (Livingstone et Hubel, 1984, 1988; Zeki et Shipp, 1998).

La rétinotopie, l’une des propriétés caractéristiques de V1 correspondant à une représentation point par point, bien que légèrement déformée, de l’image rétinienne sur le cortex visuel primaire, explique en partie l’analyse très parcellaire du message visuel qui est effectuée au niveau de V1. En effet, seuls les détails de l’image (ligne, angle, différence de luminance, orientation, etc.) sont traités, les informations sur la forme globale du stimulus n’étant pas analysées.

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Figure 3. Classification des 52 aires du cortex selon les cartes publiées par Brodmann en 1909 (vue latérale du cerveau en haut, médiale en bas; d’après Zilles, 1996).

Ce n’est qu’au-delà de V1, dans les aires du cortex préstrié et extrastrié caractérisées par une rétinotopie de moins en moins marquée, que des traitements à la fois plus globaux et plus spécialisés pourront être effectués.

Les neurones des couches 2 et 3 de V1 projettent sur le cortex préstrié, constitué des aires V2 et V3 (ou aires 18 et 19 selon la classification de Brodmann) situées autour de l’aire visuelle primaire (Shipp et Zeki, 1985). La ségrégation de l’information observée dans V1 se retrouve dans l’aire V2 qui présente elle aussi une organisation modulaire se traduisant par une alternance de bandes marquées fines ou épaisses et de bandes moins marquées ou bandes pâles. Les bandes marquées fines ou épaisses reçoivent les projections des blobs et possèdent des neurones sensibles à la couleur, tandis que les bandes pâles reçoivent les projections des interblobs et contiennent des neurones sensibles à l’orientation (Livingstone et Hubel, 1982, 1983).

Comparativement à l’aire V1, V2 assure un traitement plus complexe de l’information visuelle. L’organisation modulaire de l’aire V3 est moins bien connue que celle de V1 et V2. Cette aire, située autour de V2 et anatomiquement subdivisée en V3 et V3A, est considérée comme une aire ’pivot’ puisque qu’elle projette à la fois sur V4 et MT/V5 ; elle semble donc appartenir aux deux systèmes P et M. L’ensemble de ces aires rétinotopiques découvertes chez l’Homme ont leur homologues apparents chez le singe et ont par conséquent gardé une correspondance au niveau des noms (V1, V2, V3, V3A, V4 et V5/MT).

Au-delà de V3, les informations visuelles sont acheminées vers un ensemble d’aires extrastriées anatomiquement réparties dans deux grandes voies visuelles. L’aire LO (latéro-occipitale), située chez l’Homme dans la région des gyri lingual et fusiforme correspondant dans la classification de Brodmann à l’aire 37, pourrait être l’homologue de l’aire V4 située, chez le singe, dans le sillon temporal supérieur (Heywood et Cowey, 1987; Lueck et coll., 1989; Zeki et coll., 1991; MAlach et coll., 1995). Selon Zeki (1980), qui le premier décrivit cette aire, les neurones de V4 répondraient spécifiquement à la couleur des stimuli. D’autres résultats chez le singe ont attribué à V4 un rôle plus général dans la perception globale des formes (Heywood et Cowey, 1987; Desimone et Ungerleider, 1989; Schiller et Lee, 1991). Quels que soient les débats actuels sur le (ou les) rôle(s) fonctionnel(s) attribué(s) à l’aire V4, il n’en demeure pas moins qu’elle permet d’accéder à une perception cohérente des formes contrairement aux aires V1 et V2 qui traitent l’image visuelle de façon parcellaire.

Les projections de V4 atteignent directement plusieurs aires du cortex temporal, où sont effectués les derniers traitements purement visuels. A l’image de V4, l’aire MT/V5 est considérée comme une aire ’pivot’ en raison de ses afférences directes vers plusieurs aires du cortex pariétal. Cette aire, appélée selon les auteurs (Zeki, 1991; Desimone et Ungerleider, 1989) V5 ou MT (pour aire médio-temporale), est située chez le singe dans la région postérieure du sillon temporal supérieur.

L’homologue de cette aire serait situé chez l’Homme à la jonction des lobes occipital, pariétal et temporal dans une région commune aux aires 19 et 37 de Brodmann. Les neurones de MT/V5 sont spécialisés dans la perception et l’interprétation des mouvements des objets ou des formes, ce qui explique que l’on parle parfois d’’aire du mouvement’ (pour revue, Thorpe, 1994; de La Sayette, 1995; Reppas et coll., 1996; Tallon-Baudry, 1997).