1.3 Les voies de traitement dorsale et ventrale

A partir d’études anatomiques et électrophysiologiques (Van Essen et coll., 1982; Van Essen et MAunsell, 1983), et d’expériences de lésions chez le singe (Mishkin et coll., 1983), il a été montré que les aires visuelles extrastriées, situées autour de V1, étaient organisées en deux voies de traitement anatomiquement et fonctionnellement distinctes (Ungerleider et Mishkin, 1982). La ’voie ventrale’ ou ’voie occipito-temporale’, qui inclut V4, mène au lobe temporal et répondrait à la question ’Quoi ?’, tandis que la ’voie dorsale’ ou ’voie occipito-pariétale’, qui inclut MT/V5, mène au lobe pariétal et répondrait à la question ’Où ?’. L’information visuelle cheminerait dans deux grandes voies : l’une traitant les caractéristiques des objets (forme, couleur) et permettant leur identification, l’autre traitant la configuration spatiale des objets et permettant leur localisation dans l’espace ainsi que la perception des mouvements. Cette subdivision en deux systèmes majeurs, prenant initialement naissance au niveau de V1, existerait dès la rétine et les noyaux géniculés latéraux avec les voies parvo- et magno-cellulaires précédemment décrites. En effet, la voie parvocellulaire conduirait au cortex inféro-temporal et la voie magnocellulaire au cortex pariétal. Cette subdivision anatomique et fonctionnelle semble se retrouver à l’intérieur de V1 et V2, avec l’existence de deux systèmes parallèles : l’un traitant de la forme et de la couleur des objets, l’autre de leur orientation et de leurs mouvements dans l’espace (pour revue, Livingstone et Hubel, 1988).

Chacune des deux voies de traitement est constituée d’un ensemble d’aires corticales fonctionnant selon un mode séquentiel et hiérarchique et permettant tout à la fois une intégration et une distribution des informations visuelles tout au long des voies. Toutefois, les caractéristiques de l’entrée visuelle (forme, couleur, mouvement, etc.) peuvent être traitées en parallèle dans les deux systèmes. Plus l’information progresse le long des voies de traitement, plus l’analyse se complexifie et se spécialise. Selon Desimone et Ungerleider (1989), les voies occipito-temporale et occipito-pariétale comportent de nombreuses structures communes dans le cortex strié (V1) et préstrié (V2 et V3) avant de diverger plus nettement sur le plan anatomique (pour revue, de La Sayette, 1995; Tallon-Baudry, 1997).

La voie occipito-temporale, correspondant au ’système P’, intègre les cellules ganglionnaires appartenant à la classe P au niveau de la rétine et des noyaux géniculés latéraux, les cellules 4Cβ de la couche 4C de V1, les couches 2 et 3 de V1 (blobs et interblobs), les bandes marquées fines ou épaisses (ou bandes minces) et les bandes pâles (ou interbandes) de V2, l’aire V3v, l’aire V4, et se termine dans le cortex temporal inférieur (Figure 4). Sur le plan anatomique, le cortex inféro-temporal est subdivisé en aires TEO (cortex inféro-temporal postérieur) et TE (cortex inféro-temporal antérieur), TE étant parfois subdivisée à son tour en antérieur (TEa correspondant dans une autre nomenclature à AIT - Anterior Infero-Temporal) et postérieur (TEp correspondant à CIT - Central Infero-Temporal). Les neurones situés dans les différentes structures le long de la voie ventrale permettent d’aboutir au niveau des aires TEO et TE à une représentation cohérente des objets perçus (Figure 5). L’observation de neurones très sélectifs, ne répondant qu’à certains stimuli complexes, tels que les mains ou les visages, situés dans le fond du sillon temporal supérieur chez le singe MAcaque, conforte l’existence de phénomènes intégratifs de plus en plus complexes le long de la voie visuelle ventrale (Gross et coll., 1972; Perrett et coll., 1982; Desimone et coll.,1984).

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Figure 4. Représentation schématique des deux voies de traitement visuel : la voie ventrale, occipito-temporale traitant de la forme et de la couleur des objets, et la voie dorsale, occipito-pariétale, traitant du mouvement (NGL: Noyaux Géniculés Latéraux; CM: Couche MAgnocellulaire; CP: Couche Parvocellulaire). Les flèches symbolisent les connexions antérogrades entre les aires constitutives des deux voies (d’après de La Sayette, 1995).

Par ailleurs, ces auteurs ont également montré qu’une ablation de TEO entraîne des troubles de discrimination visuelle. Des données récentes en Imagerie fonctionnelle par Résonace MAgnétique Nucléaire (IRMf) et en Tomographie à Emission de Positons (TEP) chez l’Homme confortent les observations faites chez le singe. En effet, plusieurs études ont rapporté l’existence de réponses plus fortes dans le gyrus fusiforme et plus particulièrement dans les aires LO et FFA (Fusiform Face Area) pour des stimuli faciaux (Haxby et coll., 1994; McCarthy et coll., 1996; Kanwisher et coll., 1997; Chao et coll., 1999; Ishai et coll., 1999; Levy et coll., 2001), et des réponses plus importantes dans les gyri lingual et fusiforme médian pour des immeubles ou des maisons (Aguirre et coll., 1998; Haxby et coll., 1999), ou encore dans l’aire PPA (Parahippocampal Place Area) pour des scènes naturelles (Epstein et Kanwisher, 1998; Epstein et coll., 1999; MAguire et coll., 2001; Kanwisher, 2001).

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Figure 5. Représentation schématique des deux voies corticales sur des vues latérales de la surface du cerveau de l’Homme (en haut) et du singe MAcaque (en bas) avec la nomenclature des différentes aires (d’après Mishkin, 1982, et Logothetis et Sheinberg, 1996).

Signalons enfin que la dichotomie observée pour le traitement perceptif des objets entre les voies occipito-temporale et occipito-pariétale semble se poursuivre jusqu’au niveau du cortex préfrontal lors de traitements plus profonds mettant en jeu la mémoire.

Il a en effet été montré que les neurones de la voie ventrale projettent sur la partie inférieure du cortex préfrontal et ceux de la voie dorsale sur le cortex préfrontal dorsolatéral (Wilson et coll., 1993).

La voie occipito-pariétale, correspondant au ’système M’, intègre les cellules ganglionnaires appartenant à la classe M au niveau de la rétine et des noyaux géniculés latéraux, les cellules 4Cα de la couche 4C de V1, la couche 4B de V1, les bandes marquées épaisses de V2, les aires V3d et V3A, l’aire MT/V5, et se termine dans le cortex pariétal (Figure 4). D’un point de vue anatomique, les aires FST (Floor of Superior Temporal sulcus) et MST (Mesial Superior Temporal sulcus), constitutives du cortex temporal supérieur, ainsi que les aires VIP (Visual Inferior Parietal) et PG (Parietal angular Gyrus ou aire 39 de Brodmann), constitutives du cortex pariétal inférieur, sont considérées comme appartenant à la voie dorsale. Ces aires, observées dans le cortex du singe, n’ont pas toutes leur homologue chez l’Homme. Par exemple, l’aire baptisée SPO, située dans la région pariéto-occipitale du cortex humain, ne semble pas avoir d’homologue évident chez le singe bien que les neurones de cette aire répondent préférentiellement à des mouvements structurés très subtiles comme le font les neurones de l’aire MST chez le singe (Zeki et coll., 1991). Toutefois, la majorité des neurones situés dans les différentes aires le long de la voie occipito-pariétale présentent une extrême sensibilité à la direction des mouvements, alors qu’ils demeurent globalement insensibles à la forme ou la couleur des objets (Figure 5).

Enfin, la dichotomie entre les deux voies de traitement a également été confortée par l’étude des lésions du cortex pariétal chez l’Homme, lésions qui sont généralement associées à des déficits visuospatiaux (héminégligence, simultagnosie, ataxie optique, etc.).