3.5 Le modèle de reconnaissance des visages de Bruce et Young

Le modèle de Bruce et Young (1986) présente l’avantage de synthétiser un ensemble de considérations théoriques, dont celles de MArr relayées par Rhodes pour la classe des visages, et celles de Morton suggérant une analogie de traitement pour les mots et les visages, deux classes de stimuli considérées par ces auteurs comme socio-relationnellement importantes pour l’Homme. Un ré-examen des données empiriques, notamment celles précédemment recueillies par Bruce (1982) sur le traitement des visages, et la prise en considération des données cliniques issues d’études de patients souffrant de prosopagnosie, ont permis à Bruce et Young d’élaborer un modèle détaillé de reconnaissance des visages. Cette précision est intéressante dans la mesure où les différentes composantes du modèle se prêtent plus aisément à une réfutation ou à une validation expérimentale.

Le traitement des visages selon Bruce et Young fait appel à, au moins, sept étapes différentes (Figure 16), détaillées ci-après :

  1. Une étape d’encodage pictural (View-centred descriptions ou représentations en 2.5 dimensions de MArr) correspondant à l’extraction des traits constitutifs du stimulus (contraste, luminance, couleur, etc.) et à l’organisation de ces traits en une forme cohérente. Cette étape de traitement, qui demeure dépendante du point de vue de l’observateur, permet l’élaboration de multiples représentations picturales ; ces représentations étant limitées en nombre dans les situations expérimentales de laboratoire qui utilisent des photographies de visages, qui sont par définition statiques.

  2. Une étape d’encodage structural (Expression-independant descriptions - Structural Encoding) correspondant à l’extraction des invariants faciaux. Cette étape, réalisée indépendamment de l’orientation du stimulus, permet d’éliminer les propriétés variables du code pictural et d’effectuer une ’normalisation’ de l’image. Elle correspond à une représentation en 3 dimensions de MArr.
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    Figure 16. Modèle de reconnaissance des visages élaboré par V. Bruce et A. Young, en 1986 distinguant au moins sept étapes d’encodage (d’après Bruce et Young,, 1986).
    Il devient alors possible de comparer cette configuration faciale unique à une représentation prototypique des visages humains stockée en mémoire, et de catégoriser ou non le stimulus perçu dans la classe ’visage’ avant qu’il ne fasse l’objet de traitements ultérieurs. Ces deux premières étapes d’analyse correspondent à un traitement perceptif initial des visages inconnus ou familiers. Une fois le traitement perceptif accompli, le stimulus peut être soumis à divers traitements autonomes, incluant notamment un jugement de familiarité, chacun de ces traitements faisant indépendamment référence aux cinq étapes d’encodage suivantes :
  3. Une étape d’encodage de l’expression faciale (Expression Analysis) conduisant à l’extraction des informations relatives à l’état émotionnel de la personne et permettant ainsi d’apprécier son humeur.

  4. Une étape d’encodage de la parole (Facial Speech Analysis) permettant d’extraire les informations sur ce que dit la personne à partir des mouvements de sa bouche et/ou de la position de ses lèvres. Ce module de traitement est spécifique au modèle de Bruce et Young.

  5. Une étape d’encodage correspondant à l’extraction des informations sémantiques dérivées du traitement visuel (Directed Visual Processing). Cette étape de traitement, également spécifique au modèle de Bruce et Young, permettrait d’assigner au visage perçu un ensemble de significations relatives à l’âge, au genre, ou encore à l’appartenance ethnique de la personne, ces informations ’sémantiques’ étant directement déduites de l’analyse visuelle du visage.
    Le sens des flèches dans la représentation schématique du modèle de Bruce et Young indique que les trois modules de traitement précédemment cités dépendent directement de l’encodage structural des traits faciaux préalablement effectué. Les deux dernières étapes de traitement dans le modèle de Bruce et Young sont associées au traitement des visages familiers et aux processus de reconnaissance faciale. Elles impliquent l’activation en mémoire à long terme d’une unité de reconnaissance faciale (Face Recognition Units), ou URF. Chaque visage familier serait en effet associé à une URF, dont l’activation dépendrait du degré de ressemblance entre la représentation résultant du traitement perceptif du visage et les représentations stockées en mémoire.
    Cette activation serait responsable du sentiment de familiarité éprouvé devant un visage connu et permettrait l’accès aux informations sémantiques ou épisodiques concernant la personne selon les deux étapes suivantes :

  6. Une étape de traitement permettant d’accéder aux différentes informations sémantiques relatives à l’identité de la personne (Person Identity Nodes). Ces informations diffèrent des informations sémantiques visuellement dérivées dans le sens où elles sont arbitraires et relativement indépendantes du contexte d’observation. Elles peuvent en effet correspondre à la profession qu’exerce la personne, à ses goûts culinaires, au contexte de la première rencontre, etc., autant d’informations qui ne sont pas directement dérivables de l’analyse visuelle du visage perçu mais qui font appel à des associations arbitraires, antérieurement construites, et mémorisées ;

  7. une étape de traitement permettant d’accéder au registre des noms stockés en mémoire, et d’associer un nom au visage familier perçu (Name Generation). Cette étape dépendrait directement, selon Bruce et Young, de l’activation des informations sémantiques sur l’identité de la personne.

Ces sept “codes” sont directement ou indirectement reliés à un système cognitif (Cognitive System) dont les composantes et les fonctions demeurent complexes, maldéfinies, et sans réelle validation expérimentale à ce jour. Cette imprécision ne doit toutefois pas nous faire oublier la finesse du découpage architectural du modèle de Bruce et Young.