1.1 Traitement perceptif des mots

Dans le cadre de la psychologie cognitive, et plus particulièrement en psycholinguistique, le langage (écrit ou oral) est considéré comme un code qui véhicule un message. L’étude du langage en termes de traitement de l’information cherche à analyser et à isoler les différents processus cognitifs impliqués dans l’activité de lecture. Le caractère ’artificiel’ des études menées en laboratoire, souvent sur des phrases ou des mots isolés, hors contexte, et dépourvus de toute fonction communicative, pose toutefois le problème de la généralisation des résultats obtenus à l’usage ’naturel’ du langage.

Cependant, cette limitation n’implique nullement que l’on doive renoncer à l’approche expérimentale, qui demeure seule capable de valider les hypothèses et de fonder une connaissance scientifique. L’activité de lecture correspond donc à une activité visuelle complexe et particulière dans le sens où elle met en jeu l’activité combinée de plusieurs systèmes cognitifs (visuel, mnémonique, sémantique, etc.), nécessite l’articulation de différents codages (phonologique, orthographique ou graphémique, etc.), et présente la contrainte de devoir traiter une grande quantité d’informations très rapidement. Par ’codage’, il faut entendre la transformation d’une donnée sensorielle sous une forme capable d’être traitée par le système mnémonique. La compréhension du message verbal en psycholinguistique porte sur différents niveaux d’analyse, à commencer par celui des lettres à l’intérieur des mots jusqu’à la complexité syntaxique et sémantique des phrases et des discours. Nous nous limiterons volontairement ici aux différentes opérations cognitives impliquées dans le traitement perceptif des mots, présentés isolément.

L’analyse des processus d’encodage mis en jeu dans la lecture de mots isolés demeure toutefois difficile étant donné la rapidité avec laquelle les traitements sont effectués et leur caractère quasi automatique. Prenons par exemple la lecture du mot ’MOUTARDE’, cette activité de lecture d’un mot simple et isolé serait décomposable en plusieurs processus d’encodage :

  1. un encodage perceptif des graphèmes, c’est-à-dire que le mot est décomposé en segments sous-lexicaux (lettre ou ensemble de lettres) qui feront par la suite l’objet de conversions phonologiques (dans notre exemple, le mot ’MOUTARDE’ serait segmenté ainsi : <M> <OU> <T> <A> <R> <D> <E>) ;

  2. la constitution d’unités phonologiques qui seront ensuite regroupées en une représentation phonologique complète (dans notre exemple, on aurait : /m/ /u/ /t/ /a/ /R/ /d/ assemblé ultérieurement en : /mutaRd/). L’approche linguistique considère la phonologie comme l’étude des sons de la langue du point de vue de leur fonction, et la phonétique comme l’étude des sons en eux-mêmes, indépendamment de leur fonction ;

  3. la réalisation, si nécessaire, de structures morphémiques, le morphème représentant l’unité signifiante la plus simple. D’une manière générale, il existerait deux catégories de morphèmes : les morphèmes lexicaux (noms ou adjectifs simples, radicaux verbaux) désignant des objets ou des qualités, et les morphèmes grammaticaux (affixes, articles, pronoms, prépositions, etc.) exprimant divers types de relations, parfois très complexes, entre les éléments de l’énoncé ;

  4. l’activation d’un concept sémantique (dans notre exemple, nous activerions le concept suivant : ’Plante herbacée à fleurs jaunes’). En effet, la particularité de ces signes que sont les mots est qu’ils comportent à la fois une face signifiante (une suite de graphèmes/phonèmes) et une face signifiée (un sens, une signification).

L’organisation temporelle de ces différents processus d’encodage du mot peut mettre en jeu des traitements séquentiels et/ou en parallèle. Une méthode d’exploration, classiquement utilisée en psycholinguistique, de ces différents processus d’encodage consiste à présenter aux lecteurs, non pas des mots connus, mais des pseudo-mots (par exemple : ’CHAPUGNON’) ou des mots non familiers. Cette manipulation expérimentale repose sur l’idée selon laquelle un pseudo-mot, ou un mot non familier, nécessite davantage d’attention qu’un mot familier pour être lu en raison de sa nouveauté. Dans le cas d’un mot connu, les traitements peuvent être exécutés automatiquement et toutes les lettres traitées en parallèle, alors que dans le cas d’un pseudo-mot ou d’un mot nouveau, les différentes opérations cognitives sont supposées être exécutées séquentiellement, et peuvent ainsi être plus facilement isolées. En effet, la lecture d’un pseudo-mot, ou d’un mot non familier, impliquerait une lecture lettre-par-lettre avec un déplacement de l’attention le long de la séquence de lettres, tandis qu’un mot familier pourrait être traité dans sa forme globale, en tant qu’entité (pour revue, Caron, 1989; Zesiger et de Partz, 1994; Siéroff, 1995).