1.2 Effet de supériorité des mots

La problématique des mécanismes attentionnels est souvent présente dans le traitement perceptif des mots. L’attention peut en effet jouer un rôle important dans l’analyse et l’identification des différents éléments qui composent un objet, ainsi que dans l’agencement spatial de ces différents éléments, permettant ainsi d’aboutir à une représentation cohérente, unifiée et signifiante de l’objet perçu. L’attention sélective visuelle est définie comme un réajustement de la taille de la fenêtre attentionnelle sur une région particulière de l’objet en cours de traitement. Il a été montré que toutes les informations situées dans le foyer attentionnel (région de l’image sur laquelle est focalisée l’attention) sont traitées avec une grande précision, alors que celles situées en périphérie du foyer attentionnel seraient traitées avec une moins grande précision (Laberge, 1974, 1983; pour revue, Siéroff, 1995, Bruyer, 2000).

Une problématique majeure concernant le rôle de l’attention sur le traitement des stimuli visuels complexes est généralement formulée dans la question d’un traitement global versus un traitement local. L’hypothèse d’une dichotomie entre un traitement global de la forme et des traitements locaux provient d’un héritage direct de la Gestalt Psychology, née au début du vingtième siècle. Les premières expériences ont montré que les traitements globaux étaient réalisés plus rapidement que les traitements locaux, confortant ainsi l’idée d’une prépondérance du niveau global sur le niveau local (Navon, 1977, 1981). Il a de plus été montré que l’analyse des informations locales pouvait subir des interférences de traitements issus d’un niveau plus global, l’inverse n’ayant pas été vérifié (Lamb et Robertson, 1989; Robertson et coll., 1993; Wolfe et Bennett, 1997). Cette prépondérance des traitements globaux sur les traitements locaux a par ailleurs été discutée en fonction des fréquences spatiales des stimuli.

Les traitements seraient effectués plus rapidement en basses fréquences spatiales, c’est-à-dire celles qui sont proches du pouvoir optimal de résolution du système visuel humain (Kinchla et Wolfe, 1979; Hughes et coll., 1990; Fink et coll., 1999, pour revue, Buser et Imbert, 1987), ainsi qu’en fonction d’une prédominance hémisphérique. Il existerait, en effet, selon certains auteurs un avantage de l’hémisphère gauche pour les traitements locaux et de l’hémisphère droit pour les traitements globaux (MArtin, 1979; Roberston et Palmer, 1983; Robertson et Delis, 1986; Robertson et coll., 1988; Lamb et coll., 1989).

Les théories attentionnelles appliquées à la perception des stimuli langagiers ont fait l’objet d’un certain nombre d’études en psychologie cognitive (pour revue, Holender, 1985; LaBerge et Brown, 1989; Siéroff, 1991, 1995). Ces études ont montré que la perception des mots connus mettait en jeu un traitement automatique et global, dont les effets sont atténués lorsque les lettres sont espacées à l’intérieur des mots. Dans ce cas particulier, le traitement global serait remplacé par un traitement davantage local et séquentiel de chacune des lettres constitutives des mots. Ces observations peuvent être directement associées à un effet décrit pour la première fois par Reicher (1969) sous les termes de ’word superiority effect’ ou ’effet de supériorité du mot’ (sur la lettre). Cet effet a été traduit par un traitement (détection et reconnaissance) plus efficace des lettres lorsqu’elles sont situées dans un mot que lorsqu’elles sont présentées isolément ou dans un mot non familier, voire dans un pseudo-mot ou une séquence non significative de lettres ou de symboles alphanumériques (Estes, 1975). MAnifestement, le traitement des mots influencerait le traitement des lettres qui le composent, dans le sens où il semble y avoir une reconnaissance totale ou partielle du mot avant même que toutes les lettres constitutives du mot ne soient identifiées.

Ces observations ont conforté l’hypothèse selon laquelle les mots présentés en modalité visuelle seraient traités de manière automatique, c’est-à-dire à un niveau global qui ne nécessiterait pas une orientation de l’attention visuo-spatiale sur chacune des lettres (ou groupements de lettres) à l’intérieur du mot. Ces résultats vont dans le sens d’observations plus récentes de patients souffrant d’une héminégligence gauche et présentant des difficultés à lire des mots présentés isolément. Il est d’autant plus étonnant que ces patients présentent davantage de difficultés à lire la partie gauche d’un pseudo-mot que celle d’un mot connu (Siéroff et coll., 1988; Siéroff, 1990, 1991). Cet effet de supériorité des mots a également été observé par la suite pour différentes catégories d’objets (Biederman, 1972; Weisstein et Harris, 1974), dont celle des visages (Palmer, 1975; Homa et coll., 1976).