1.3 Traitement perceptif des visages

Comme nous l’avons vu précédemment, les visages constituent une classe étendue de stimuli hautement sophistiqués sur le plan de ses caractéristiques physiques. Un bref coup d’oeil suffit en général pour estimer l’âge, déterminer le sexe, apprécier la beauté, caractériser l’émotion de la personne qui se trouve en face de nous, et décider s’il s’agit d’un visage connu, auquel cas nous l’identifierons et retrouverons son nom. Obtenir l’ensemble de ces informations constitue un acte si naturel et automatique qu’il est difficile d’entrevoir la complexité d’une telle fonction, qui de plus ne semble requérir aucun apprentissage formel.

La difficulté majeure du traitement facial réside dans le fait que tous les visages sont construits sur le même modèle et diffèrent l’un de l’autre par des nuances objectivement minimes. Or, l’Homme est capable, malgré des contraintes biologiques relativement importantes, de discriminer sans faute un visage parmi des centaines d’autres.

Les traitements perceptifs effectués sur les stimuli faciaux visent, dans un premier temps, à extraire de l’ensemble des informations visuelles disponibles une configuration stable et unique du visage perçu en intégrant l’ensemble des traits faciaux ainsi que leur agencement spatial. L’encodage structural des visages a pour objectif de dériver une représentation faciale indépendante du point de vue de l’objet, c’est-à-dire quelle que soit son orientation, sa distance, son âge ou son expression. Cette représentation moyenne des visages construite à l’issue du processus de décision faciale correspond à un modèle en trois dimensions, un ’prototype’ de la classe. Même si l’élaboration d’un prototype dépend de la complexité des caractéristiques physiques des stimuli, les étapes d’analyse perceptive conduisant à cette construction sont toutes destinées à extraire les propriétés invariantes et communes aux différentes représentations épisodiques de l’exemplaire perçu, quelle que soit sa classe d’appartenance. La particularité des traitements perceptifs pour les visages, s’il en existe une, ne réside pas par conséquent dans ces premières étapes d’analyse, mais résiderait davantage dans l’analyse des caractéristiques uniques du visage perçu, permettant ainsi d’isoler un exemplaire de la classe.

Les visages sont en effet considérés comme des stimuli visuels complexes constitués de deux catégories de traits : les traits faciaux internes, tels que les yeux, le nez et la bouche, et les traits faciaux externes, tels que la chevelure, la forme du menton, la proéminence des joues, la hauteur du front, etc. L’ensemble de ces traits serait traité différemment selon leur position dans le visage : les composantes faciales internes (yeux, nez, bouche), moins sensibles à des variations épisodiques et rapides que certaines composantes faciales externes (cheveux), joueraient un rôle prépondérant dans l’élaboration d’une représentation perceptive unique et stable du visage perçu. Ces observations ont été récemment confortées par des études réalisées en imagerie fonctionnelle cérébrale (Epstein et coll., 1999; Nakamura et coll., 2000; Kanwisher, 2001; Levy et coll., 2001).

Leurs résultats indiquent que la perception des stimuli faciaux (comparativement à celle de scènes naturelles d’intérieur ou d’extérieur) met davantage en jeu une analyse visuelle à haute résolution fovéale qu’une analyse visuelle à haute résolution périphérique.

L’analyse perceptive d’un visage ne dépend toutefois pas uniquement de l’encodage de ses différents traits mais également de celui des propriétés physiques métriques qui relient les différentes composantes faciales entre elles. L’agencement spatial (ou relation configurale) des différents traits faciaux semble donc jouer un rôle important dans l’étape de décison faciale. L’ensemble des propriétés physiques énumérées ci-dessus (décomposition des visages en traits, prépondérance de certains traits faciaux sur d’autres, importance de l’agencement spatial des traits faciaux) conforterait l’hypothèse selon laquelle les visages constituent une classe à part parmi les autres stimuli visuels complexes que l’Homme est amené à traiter quotidiennement. Les particularités physiques des stimuli faciaux impliqueraient par ailleurs des mécanismes de traitement spécialisés pour cette classe d’objets (pour revue, Sergent, 1994).

Le paragraphe suivant sera consacré à la présentation des résultats expérimentaux issus de recherches en psychologie cognitive, qui pourraient témoigner d’un traitement visuel particulier pour la classe des visages.