1.4 Effet de supériorité des visages

Avant de présenter l’effet à proprement parler de supériorité des visages, nous allons consacrer quelques lignes à l’effet de supériorité des objets (ou ’object superiority effect’), défini par analogie avec celui des mots. Les premiers travaux, effectués dans les années soixante-dix par Biederman (Biederman, 1972, 1981; Biederman et coll., 1973, 1974, 1983), ont montré qu’un objet présenté dans une scène naturelle cohérente était plus facilement identifié que lorsqu’il était présenté dans une scène artificiellement reconstruite ou parmi une série d’objets sans lien.

Ces résultats ont été interprétés comme un avantage perceptuel pour la détection d’objets sémantiquement reliés à l’intérieur d’une scène naturelle complexe et cohérente (voir également l’étude de Palmer, 1975). L’effet de supériorité des objets a été défini pour la première fois par Weisstein et collaborateurs dans une série d’expériences montrant qu’un segment de ligne pouvait être plus facilement identifié lorsqu’il faisait partie d’un pattern géométrique complexe en trois dimensions que lorsqu’il était présenté isolément ou dans des figures géométriques planes (Weisstein et Harris, 1974; Lanze et coll., 1982; Weisstein et coll., 1982). Enfin, une étude relativement récente de Davidoff et Donnelly (Davidoff et Donnelly, 1990), dont l’objectif était de comparer les différents effets de supériorité des objets en fonction de leur catégorie, a montré l’existence d’un effet de supériorité pour des chaises. En effet, ils ont observé que la reconnaissance de chaises, dont les parties (dossier, assise et pieds) sont normalement agencées, est meilleure que la reconnaissance des parties présentées isolément. Ces auteurs ont également observé un effet de supériorité pour des stimuli faciaux, cet effet étant toutefois plus important pour la catégorie des visages que pour celle des chaises. La reconnaissance des visages dont les traits internes faciaux ont été mélangés était en effet moins bonne que celle des visages ’normaux’ (traits faciaux non mélangés), cet avantage n’ayant pas été observé pour la catégorie des chaises. Ces résultats confortent l’hypothèse selon laquelle la reconnaissance d’une partie d’un objet est meilleure lorsque cette partie est présentée dans le contexte de l’objet que lorsqu’elle est présentée séparément de celui-ci.

Parallèlement aux effets de supériorité des mots et des objets, un effet de supériorité des visages (’face superiority effect’) a été mis en évidence par Homa et collaborateurs (1976). Ces auteurs ont décrit cet effet comme une facilitation de l’analyse perceptive d’un trait facial interne (yeux, nez ou bouche) lorsqu’il est présenté dans le contexte d’un visage avec un arrangement vertical normal que lorsqu’il est présenté isolément ou dans un visage dont les traits ont été mélangés.

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Figure 17. Exemples de stimuli utilisés dans les expériences étudiant les effets de supériorité des visages et des objets. A. Visages schématiques recomposés ou non et traits internes faciaux isolés (yeux, nez, bouche); B. MAisons schématiques et parties internes (portes et fenêtres) isolées; C. Photographies de visages célèbres dont les traits internes ont été manipulés (d’après Young et coll., 1987; Tanaka et Farah, 1993; Biederman et Kalocsai, 1997).

Ce résultat semble robuste puisqu’il a été plusieurs fois répliqué dans différentes études (Figure 17) :

  1. utilisant des visages schématiques similaires à ceux utilisés par Homa et collaborateurs (Van Santen et Jonides, 1978; Ellis et coll., 1979) ;

  2. ayant pour objectif de comparer l’effet de supériorité des visages à celui observé pour d’autres catégories d’objets (maisons, objets manufacturés, etc.) (Davidoff et Donnelly, 1990; Tanaka et Farah, 1993; Biederman et Kalocsai, 1997) ;

  3. manipulant les traits faciaux internes en les remplaçant soit par des objets (téléphone, fleur, voiture, etc.), soit par des symboles (flèche, étoile, trait, etc.) (Davidoff, 1986) ;

  4. dans des études utilisant des photographies de visages en noir et blanc dont les traits internes ont été manipulés (Young et coll., 1987).

L’ensemble de ces observations souligne non seulement l’importance d’un traitement global des visages sous-tendant l’existence d’une ’gestalt’ perceptive faciale, mais également l’importance d’un encodage des interrelations spatiales entre les traits faciaux.