3.1 Le concept d’agnosie visuelle

Le concept d’agnosie visuelle, issu de l’observation clinique, fait référence à une incapacité que présentent certains patients atteints de lésions cérébrales à reconnaître des objets par la vue alors que leurs fonctions visuelles élémentaires sont intactes (perception des contrastes, des couleurs, des contours, de la profondeur, etc. préservée). Ces patients sont par ailleurs capables d’identifier sans délai n’importe quel objet par tout autre canal sensoriel, autre que le canal visuel ; ils peuvent en démontrer l’usage et aisément en donner le nom.

Décrite pour la première fois par Lissauer (1890), l’agnosie visuelle est fréquemment accompagnée de troubles variés, tels que des troubles de reconnaissance des couleurs, des visages, ou du langage écrit. La sémiologie des agnosies visuelles a permis de dissocier les traitements sensoriels élémentaires des traitements plus élaborés de l’information visuelle, tels que ceux impliqués dans les processus d’identification et de dénomination des objets, des mots, des visages, ou des couleurs. Il semble donc que les lésions cérébrales associées aux agnosies visuelles soient distinctes de celles qui génèrent des dysfonctionnements au niveau des traitements sensoriels élémentaires permettant l’encodage des caractéristiques physiques de bas niveau des stimuli, telles que les fréquences spatiales, les lignes, les orientations, les terminaisons, etc.

Les critères traditionnellement retenus pour identifier un trouble comme agnosie visuelle sont les suivants :

  • incapacité à reconnaître certains stimuli présentés en modalité visuelle ;

  • incapacité limitée à la seule modalité visuelle, les stimuli pouvant être identifiés et dénommés lorsqu’ils sont présentés dans un autre canal sensoriel ;

  • traitements visuels élémentaires intacts ;

  • absence de troubles majeurs dans les autres fonctions cognitives complexes, telles que la production et la compréhension du langage parlé, la mémoire, les capacités intellectuelles, etc.

Les nombreux cas cliniques d’agnosie visuelle ont également permis de discuter le rôle de chacun des hémisphères dans les traitements perceptifs de haut niveau. Ces observations semblent conforter l’existence d’une décomposition des fonctions cognitives complexes en sous-opérations pouvant être effectuées en parallèle dans chacun des deux hémisphères cérébraux (pour revue, Signoret, 1986; Bruyer, 1994; Cambier, 1995). La description princeps des agnosies visuelles selon Lissauer à la fin du siècle dernier faisait référence à une distinction, plutôt grossière, des agnosies en deux grandes classes, cette distinction bien que révisée et quelque peu affinée est encore largement utilisée de nos jours.