2.1.1 Etudes en Tomographie à Emission de Positons (TEP)

La plupart des études TEP sur les processus langagiers ont été réalisées sur des mots isolés, mais les processus cognitifs impliqués dans la compréhension des mots dans les phrases ont également été l’objet de recherches qui ne seront pas évoquées en détail ici (MAzoyer et coll., 1993; Bottini et coll., 1994; Nichelli et coll., 1995; Stromswold et coll., 1997; Hirano et coll., 1996, 1997; Muller et coll., 1997; Tzourio et coll., 1998).

La plupart des résultats obtenus en TEP ne confortent pas les modèles de lecture classiques (Geschwind, 1972) qui supposent l’existence d’un lexique visuel et auditif dans le gyrus angulaire gauche et d’un lexique sémantique dans l’aire de Wernicke (aires 22, 41, 42 dans la région du cortex temporal supérieur). D’une manière générale, le traitement des mots, indépendamment de l’entrée sensorielle (visuelle ou auditive), semble impliquer de vastes réseaux fonctionnels incluant deux grandes régions corticales, une région “périsylvienne” (aires de Broca, de Wernicke, gyrus supramarginal, ainsi que les faisceaux de substance blanche reliant ces zones dans les deux hémisphères) qui prendrait en charge les aspects phonétique, phonémique et syntaxique du langage, et une région plus périphérique (aires préfrontales, jonction temporo-pariéto-occipitale dont le gyrus angulaire, aires temporales inférieures) qui assurerait les traitements lexico-sémantiques (Alexander et coll., 1989; Hart et Gordon, 1990; Luders et coll., 1991; pour revue, Carr, 1992; Démonet et coll., 1993; Démonet et Puel, 1994; Posner et Raichle, 1994, 1995; Price, 2000).

Toutefois, même si les recherches en imagerie fonctionnelle cérébrale ont permis de remettre en question les modèles standard de lecture, elles n’ont pas, à ce jour, encore pu isoler clairement les régions corticales impliquées dans les différents niveaux de traitement linguistique.

Les études TEP ont globalement montré des activations, bilatérales ou latéralisées à gauche, dans les régions occipitale, temporale et/ou pariétale au cours d’une simple analyse perceptuelle, visuelle ou auditive, de mots, présentés parmi des pseudo-mots, des non-mots, des séquences de symboles alphanumériques et des séquences de formes, ou encore parmi des syllabes artificielles, des sons purs et des “clics” (Figure 25). Certains auteurs ont observé, lors d’une tâche de visualisation passive, des activations sélectives plus fortes, pour les mots et les pseudo-mots seulement, dans la région temporo-occipitale gauche, incluant certaines aires du cortex extra-strié dont les gyri fusiforme et lingual postérieur. En revanche, lors d’une écoute passive de mots, des activations ont été observées dans les régions bilatérales temporales, incluant le gyrus temporal supérieur ou gyrus de Heschl, ainsi que dans la région temporo-pariétale gauche (Petersen et coll., 1988, 1989, 1990; MArrett et coll., 1990; Wise et coll., 1991a, 1991b; Petersen et Fiez, 1993).

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Figure 25. Augmentation du débit sanguin cérébral dans les aires visuelles extra-striées pour les quatre types de stimuli visuels utilisés dans l’expérience de Petersen et collaborateurs (1990), ces réponses étant plus importantes dans l’hémisphère gauche pour les mots et les pseudo-mots seulement (d’après Posner et Raichle, 1994).

D’autres études ont montré qu’une lecture silencieuse ou à voix haute de mots activait des aires corticales situées, soit dans la région temporale inférieure gauche (gyrus fusiforme), proche du gyrus angulaire (Howard et coll., 1992; Calvert et coll., 1997; Herbster et coll., 1997), soit conjointement dans les régions occipitale et temporale gauches (Price et coll., 1992, 1994; Bookheimer et coll., 1995; Frith et coll., 1991, 1995; Beauregard et coll., 1997).

Certains auteurs ont cherché à examiner plus précisément les régions corticales impliquées au cours d’un traitement phonético-phonologique effectué sur différents stimuli verbaux (mots, pseudo-mots, syllabes) présentés en modalité visuelle ou auditive. Les tâches requises étaient soit une détection de phonèmes, soit une détection de rimes. Les résultats observés sont contradictoires : certains auteurs ont montré des activations dans les régions temporale supérieure gauche, incluant l’aire de Wernicke, et temporo-pariétale droite et gauche, d’autres ont observé des activations dans la région frontale gauche, incluant l’aire de Broca (Sergent et coll., 1992; Démonet et coll., 1992, 1994a, 1994b; Zatorre et coll., 1992, 1996; Paulesu et coll., 1993; Fiez et coll., 1995, 1996; Frith et coll., 1995; pour revue, Fiez et Petersen, 1998). Ces résultats divergents peuvent toutefois s’expliquer par le fait qu’un traitement phonético-phonologique implique, au moins d’un point de vue théorique, différentes sous-opérations cognitives, incluant notamment des transformations grapho-phonétiques et phonético-graphiques ainsi qu’un encodage phonético-articulatoire, ces sous-opérations pouvant être sous-tendues par des substrats neuronaux respectivement situés dans les régions temporo-pariétale et frontale.

L’étude de Sergent et collaborateurs (1992) fut l’une des premières à montrer l’implication de la région frontale dans une tâche de décision phonétique effectuée sur des lettres présentées isolément et ne contenant donc pas d’informations sémantiques à proprement parler.

En effet, nombreuses sont les études TEP qui ont montré l’activation de différentes régions frontales gauches (aire de Broca), dont le cortex préfrontal dorsolatéral, le cortex frontal inférieur et le cortex cingulaire antérieur, lors de traitements lexico-sémantiques variés (décisions lexicales, jugements sémantiques sur des mots isolés ou dans des phrases, générations de verbes à partir de mots et réciproquement). Certaines études ont montré des activations parallèles dans les régions temporales supérieures, alimentant ainsi le débat théorique sur les modalités de stockage des représentations lexicales et/ou sémantiques des stimuli langagiers dans le cortex (Petersen et coll., 1989, 1990; Frith et coll., 1991; Sakurai et coll., 1992, 1993; MAzoyer et coll., 1993; Bottini et coll., 1994; Raichle et coll., 1994; Menard et coll., 1996; Herbster et coll., 1997; Price et coll., 1997; Rumsey et coll., 1997; pour revue, Caramazza, 1996; Fiez et Petersen, 1998; Damasio et coll., 1996; Price, 1998, 2000). Notons que le rôle du cortex préfrontal dans ces tâches ne semble pas être limité à des traitements langagiers de type sémantique. Il serait également impliqué dans des processus de production langagière, d’évaluation syntaxique, ainsi que dans des tâches cognitives requérant la mémoire de travail pour du matériel verbal et non-verbal (Price et coll., 1996; Stromswold et coll., 1996; Caplan et coll., 1998; pour revue, Gabrieli et coll., 1998; Price, 1998). La figure 26 illustre l’implication de régions corticales distinctes en fonction des niveaux de traitement langagier, à savoir, dans ce cas précis, des analyses passives visuelle et auditive de mots, des tâches de prononciation et de génération de verbes.