3.1 Etudes par la magnéto-encéphalographie (MEG)

A la différence de l’EEG qui reflète la propagation sur le scalp des flux de courants synaptiques extracellulaires, la MEG est sensible aux flux de courants synaptiques intracellulaires.

Cette différence rend ces deux techniques d’enregistrement complémentaires au niveau de leur sensibilité à l’orientation et à la profondeur des dipôles à l’origine des patterns d’activités observés sur le scalp. MAlgré la résolution spatiale assez fine de la MEG (de l’ordre de 3 mm), la topographie des champs magnétiques recueillis sur le scalp ne permet pas encore d’inférer sans ambiguïté la localisation des populations neuronales à l’origine de telles activités. En effet, à un pattern d’activité donné peut correspondre un nombre infini de solutions possibles. Par ailleurs, la MEG est peu sensible aux flux de courants à orientation radiale. Ainsi, les activités issues de nombreuses régions cérébrales, telles que les gyri corticaux externes, ne peuvent être détectées par la MEG (Hari et Lounasmaa, 1989; Dale et Sereno, 1993; pour revue, Halgren et coll., 1995; Kutas et Dale, 1997; Pernier et Bertrand, 1997). MAlgré l’intérêt que présente cette technique, les données recueillies en MEG restent limitées comparativement aux enregistrements électrophysiologiques en raison des contraintes plus lourdes (coût et installation) pour le système d’acquisition MEG que pour celui des PE.

Les quelques études MEG menées sur les processus langagiers ont examiné le traitement des mots ou des pseudo-mots présentés isolément en modalité visuelle et/ou auditive, mais aucune, à notre connaissance, n’a encore examiné les processus langagiers impliqués dans l’analyse phrastique. Il a par exemple été montré qu’une tâche de perception visuelle de mots entraînait une succession de composantes temporellement et topographiquement dissociées sur le scalp : un premier pattern d’activité maximum sur les régions occipitales bilatérales vers 100 ms après le début de la présentation du stimulus verbal, un second pattern entre 100 et 350 ms sur les régions temporales inférieures gauches, et des activités tardives entre 300 ms et 800 ms sur les régions temporo-pariétales gauches. Les tâches de perception auditive de mots et de génération de verbes ont été associées à des activations sur les régions temporales bilatérales (cortex auditifs primaire et secondaire), ces patterns présentant toutefois une variabilité spatiale importante entre les sujets (Breier et coll., 1998).

Il a également été montré qu’une tâche de prononciation silencieuse de mots générait des champs magnétiques sur des régions temporales antérieures de l’hémiscalp droit (Eulitz et coll., 1994; pour revue Kutas, 1999).

Les études MEG menées sur les processus de perception faciale ont permis de mettre en évidence un ensemble de zones corticales sélectivement activées au cours de tâches de visualisation passive de visages. Comparativement à d’autres catégories de stimuli (mains, visages ou corps d’animaux, objets manufacturés, dessins géométriques, points, etc.), il a été montré que la classe des visages générait des patterns d’activité significativement plus importants sur les régions occipito-temporales du scalp (Lu et coll., 1991; Sams et coll., 1997; Linkenkaer-Hansen, et coll., 1998; Swithenby et coll., 1998; Halgren et coll., 2000; Liu et coll., 2000). Ces activités apparaissent approximativement 170 ms après le début de la stimulation (M170). L’onde M170 s’est révélée insensible aux changements des caractéristiques physiques des stimuli faciaux (photographies en couleur ou en noir et blanc), ainsi qu’au genre, à l’expression faciale et à la répétition des visages (Halgren et coll., 2000). En revanche, il a été montré qu’elle était sensible à l’orientation des visages intacts ou dégradés (Linkenkaer-Hansen, et coll., 1998; Liu et col., 2000). Les sources neuronales à l’origine de la composante M170 ont été localisées dans les gyri fusiformes, ou à proximité dans les gyri temporaux inférieurs. MAlgré une grande variabilité des réponses entre les sujets, une prédominance hémisphérique droite a été observée pour le traitement des stimuli faciaux. Certains auteurs supposent que cet avantage hémisphérique droit est associé au type de tâche utilisé : une visualisation passive serait en effet favorable à une analyse globale des traits faciaux, et impliquerait davantage l’hémisphère droit. Cette composante magnétique est supposée refléter sur le scalp la détection de patterns faciaux ; son rôle fonctionnel a été comparé à celui de la composante électrophysiologique N170 (voir paragraphe ultérieur sur les composantes électrophysiologiques de surface associées au traitement des visages).

Certaines études MEG ont montré l’existence de composantes magnétiques plus précoces, sensibles à certains types de traitements faciaux. Linkenkauer-Hansen et collaborateurs (1998) ont par exemple montré qu’une composante, maximale vers 120 ms, était sensible à l’orientation des visages (réponse amplifiée pour des visages présentés à l’envers). Un pattern d’activités encore plus précoce, autour de 30-60 ms après le début de la stimulation, a été sélectivement observé pour la catégorie des visages (comparativement à des tasses et des ensembles de points sans signification) au cours d’une tâche de comparaison de paires de stimuli impliquant la mémoire de travail. Cette activité précoce a été enregistrée sur une large région occipito-pariétale droite, laissant supposer des sources neuronales profondes probablement situées dans des structures thalamiques, telles que le pulvinar (Braeutigam et coll., 2001). Le fait que ce pattern d’activité ait également été observé, mais plus faiblement pour une autre catégorie d’objets significatifs (tasses), et n’ait pas été enregistré pour des stimuli sans signification (ensembles de points) conforte l’idée selon laquelle ces réponses seraient associées à des mécanismes d’encodage d’objets significatifs indépendants des processus de maintien en mémoire de travail. Ces résultats suggèrent l’existence de voies d’analyse visuelle rapides entre le cortex strié, ou le pulvinar et/ou le corps géniculé latéral, et les régions extra-striées. Des données supplémentaires, recueillies en MEG, ont par ailleurs montré l’implication des régions bilatérales temporo-frontale et temporale médiane (régions hippocampique et parahippocampique) dans les processus de maintien en mémoire à long terme des visages, comparativement aux processus de maintien en mémoire à court terme et aux processus de perception faciale (Leveroni et coll., 2000).

Bien que les données MEG soient encore trop peu nombreuses pour tirer des conclusions générales sur la dynamique spatio-temporelle des processus langagiers, elles constituent une base de données complémentaire à celle issue des enregistrements électrophysiologiques intracrâniens et de surface.