3.3.4 Onde P300

Quelle que soit la modalité sensorielle, des stimuli-cibles rares devant être détectés dans des paradigmes de type ’oddball’ (comptage mental ou appui sur un bouton-poussoir) génèrent une onde positive tardive, appelée ’P3’ ou ’P300’. On sait maintenant que cette onde inclut deux composantes topographiquement et fonctionnellement distinctes : une composante fronto-centrale “P3a” et une composante centro-pariétale “P3b”. La composante P3a refléterait les réponses cérébrales à des événements inattendus et serait liée à des effets d’orientation attentionnelle, tandis que la composante P3b serait davantage considérée comme la résultante sur le scalp de processus de décision catégorielle effectuée par le sujet (pour revue, Donchin, 1981; Hillyard et Kutas, 1983; Verleger et coll., 1994; Polich et Kok, 1995). La signification fonctionnelle ainsi que la genèse de ces ondes restent encore mal connues. Les facteurs qui les influencent sont multiples : niveau d’éveil, état attentionnel, stratégie utilisée par le sujet, type de traitement, etc. Plusieurs études ont suggéré que la latence de l’onde P3b est un marqueur temporel de l’évaluation (encodage, reconnaissance et classification) des stimuli cibles à traiter ; elle serait par ailleurs sensible aux stratégies de traitement mises en jeu ainsi qu’à la difficulté à discriminer les stimuli cibles des stimuli non-cibles. L’amplitude de l’onde P3b serait proportionnelle à la complexité des traitements effectués (Karis et coll., 1984; Johnson et coll., 1985; Fabiani et coll., 1986; pour revue, Kutas et coll. 1977; McCarthy et Donchin, 1981; Ducan-Johnson et Donchin, 1982; Donchin et Coles, 1988).

Elle ne dépendrait en effet pas seulement des conditions expérimentales (saillance des caractéristiques physiques des stimuli, fréquence des cibles), mais également des stratégies de traitement mises en oeuvre par le sujet et des ressources attentionnelles allouées pour effectuer correctement la tâche.

L’analyse des stimuli-cibles dans l’étude que nous avons menée sur les différents niveaux de traitement psycholinguistique conforte les hypothèses précédentes (latence de l’onde P3b liée à la durée de traitement des stimuli, amplitude liée à la complexité ou la difficulté de la tâche; Bentin et coll., 1999). Nous avons en effet observé une augmentation significative des latences de l’onde centro-pariétale P3b, entre 400 et 600 ms, en fonction des tâches, la latence la plus précoce ayant été observée pour une tâche de décision sur des critères physiques (taille des caractères), les latences les plus tardives pour des tâches de décision sémantique et lexicale. Il est ainsi apparu que la latence de la composante P300, tout comme les temps de réaction, ne reflète pas les différents niveaux de traitement, mais plutôt la complexité des tâches ainsi que le temps nécessaire pour une prise de décision (Figure 38). Nous avons par ailleurs observé une diminution significative des amplitudes de l’onde P3b en fonction du type de tâche, l’amplitude la plus importante ayant été enregistrée pour la tâche de décision de taille et la plus faible pour la tâche de décision sémantique. Ces résultats indiquent donc une corrélation inverse entre l’amplitude de l’onde P300 et le degré de complexité des tâches, et les niveaux de traitement associés à chacune d’entre elles (Figure 38).

La composante P300 pourrait également refléter sur le scalp des processus de décision réalisés, dans certaines circonstances, de façon automatique. Par exemple, une étude sur la reconnaissance des visages familiers chez un patient prosopagnosique a montré une modulation de l’amplitude et de la latence de cette onde en fonction de la catégorie des visages présentés (connus ou inconnus) bien que le patient soit incapable de reconnaître consciemment les visages familiers qui lui étaient présentés. (Debruille et coll., 1989; Renault et coll., 1989).

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Figure 38. Réponses moyennes, enregistrées sous l’électrode Pz, évoquées par les stimuli-cibles dans six tâches de traitement psycholinguistique effectuées sur des mots isolés en présentation visuelle : une tâche de décision de taille, une tâche de décision phonétique, trois tâches de décision lexicale (DL1: Mots/Non-mots, DL2: Mots/Pseudo-mots, DL3: Pseudo-mots/Mots), et une tâche de décision sémantique. Cette figure illustre les modulations de l’amplitude et de la latence de l’onde P3b en fonction du degré de complexité des tâches et des niveaux de traitement requis (d’après Bentin et coll., 1999).