1.3. Manchester

The Theory of Knowledge paraît en 1896. Hobhouse y expose ses conceptions en matière de philosophie de la connaissance. Le livre est mal reçu par les adeptes de l’idéalisme dominant, et cette déception convainc Hobhouse de réaliser son projet de quitter le monde universitaire pour celui du ‘« journalisme actif et des activités politiques’ 9 ». Il partit s’installer à Manchester où C. P. Scott10 lui avait proposé un poste dans l’équipe éditoriale du Manchester Guardian. La relation professionnelle des deux hommes eut tôt fait de se muer en une amitié solide fondée sur une confiance et une estime mutuelles que rien ne devait plus démentir. Les cinq années passées à Manchester semblent avoir achevé la maturation de la pensée politique de Hobhouse. Deux éléments déterminants nous semblent être à l’origine de l’élaboration du « nouveau libéralisme » qui caractérise désormais la pensée politique de l’auteur : la guerre des Boers (1899-1902) et l’influence de Scott. Selon le propre témoignage de Hobhouse, Scott fit appel à lui parce qu’il avait décidé de repositionner son journal à gauche :

‘When in 1897 Scott invited this writer to join his staff the reason he gave was his belief that the relation between Liberalism and Labour must govern the future of politics, and that the problem was to find the lines on which Liberals could be brought to see that the old tradition must be expanded to yield a fuller measure of social justice, a more real equality, an industrial as well as a political liberty11.’

Aux côtés de C. E. Montague et de W. T. Arnold, Hobhouse était chargé de définir une ligne éditoriale du journal susceptible de promouvoir l’alliance de ces deux pôles politiques, parce que ses opinions politiques exprimées dans The Labour Movement semblaient le désigner comme le candidat idéal pour une telle tâche. Cependant, la guerre des Boers rapprocha l’auteur du libéralisme traditionnel : il prit part à la direction du Manchester Transvaal Committee où il côtoya John Morley dans une collaboration emblématique de ce que P. Clarke décrit comme « ‘l’invraisemblable association des progressistes’ ‘, gladstoniens’ ‘ et travaillistes’ ‘ dans l’opposition à l’impérialisme’ 12 ». Son activité journalistique se concentre alors sur la politique étrangère, et ses articles révèlent son attachement aux principes fondamentaux du libéralisme. L’ouvrage Democracy and Reaction, paru en 1904, est fondé sur certains des articles13 écrits au sujet de la guerre en Afrique du Sud. On peut penser que le « collectivisme » auquel se rattache la politique de Hobhouse dans les dernières années du siècle a désormais pris un tour plus libéral. En tout état de cause, il semble qu’après 1904, la pensée politique de Hobhouse est établie, se caractérisant par une adhésion au « nouveau libéralisme ».

Les raisons du départ de Hobhouse de Manchester semblent multiples. Il souffrait de surmenage et de fréquents accès dépressifs pour lesquels les médecins recommandaient le repos : un emploi à plein temps au Manchester Guardian représentait une trop lourde charge, d’autant qu’il n’avait jamais délaissé la philosophie puisqu’il avait fait paraître Mind in Evolution en 1901. Ce livre se fonde sur des études du comportement animal auquel l’auteur s’était livré à la suite de ses recherches avec le professeur Haldane. Aujourd’hui encore, il est, selon Collini, difficile à classer et semble être un « ‘hybride engendré par une monographie sur la psychologie animale sortie tout droit d’un manuel sur l’évolution’ 14 ». Il marque, en tout cas, l’apparition du thème de l’évolution, qui mène Hobhouse à concentrer ses recherches philosophiques sur la philosophie sociale et sur l’étude du développement de l’individu et de la société qui forment la base de sa sociologie. De plus, Hobhouse voulait disposer de plus de temps pour ses activités intellectuelles. Arrivé à Londres, il participe, en effet, à la création de la Sociological Society et publie Morals in Evolution en 1906. L’ouvrage contient la substance de la sociologie hobhousienne, exposée de manière approfondie dans Social Development, de même que la conclusion de ses recherches dans le domaine de « l’éthique comparée15 » (comparative ethics). Celle-ci l’amène à distinguer « le lien étroit entre la rationalité et l’humanité16 » et à établir « l’humanitarisme rationnel » (rational humanitarianism) en tant que fondement de son éthique : The Rational Good explore cette voie plus avant.

Une raison supplémentaire pour expliquer le départ de Manchester est avancée par David Ayerst17 : Hobhouse aurait considéré qu’il ne jouissait pas de la liberté suffisante pour pouvoir s’épanouir dans ses fonctions d’éditorialiste du Manchester Guardian. À cet égard, Ayerst cite une lettre où l’auteur exprime son amertume :

‘If one is as much responsible for the policy of a paper as I have been on certain matters I think one ought to have a recognized consultative voice in deciding what subjects should be treated in leaders and also whether the occasional articles and contributions that come to hand bearing on one’s subject should be used. On such points I have hitherto felt that I can only request and suggest and I have sometimes felt considerably hampered by the rejection of my suggestions. I am not speaking of times when you are here... What I want to feel is that my view has a right to be considered and on my own subject ought, unless definite reason is assigned to me for the contrary, to be taken18.’
Notes
9.

 Hobson/Ginsberg p. 37 : « Hobhouse’s decision to leave Oxford and to throw himself into active journalism and political activities was no surprise to those who knew him best. »

10.

 Charles Prestwich Scott (1846-1932), directeur du Manchester Guardian pendant 57 ans.

11.

 L. T. HOBHOUSE, « Liberal and Humanist », pp. 85, 86.

12.

 P. Clarke, introduction à Democracy and Reaction, pxvii : « The improbable combination of progressives, Gladstonians and Labour in opposition to Imperialism led each group towards a more sympathetic understanding of the position of the others. »

13.

 Ces articles furent initialement publiés dans le Speaker.

14.

 Collini LS p. 79 : « At first sight, it [Mind in Evolution] reads like a hybrid, sired by a monograph on animal psychology out of a text-book on evolution. »

15.

 En 1904 il donna une série de conférences à l’Université de Londres sur ce sujet.

16.

 S. G. SCHNORR, Liberalismus zwischen 19. und 20. Jahrhundert, p. 297 : « Besonders in diesem Werk [Morals in Evolution] von Hobhouse wird die enge Verbindung von Rationalität und Humanität deutlich. ». Cet ouvrage est désormais abrégé « Schnorr ».

17.

 Voir D. AYERST, The Manchester Guardian. Biography of a Newspaper.

18.

 Ibid., Ayerst cite une lettre de Hobhouse à Scott, datée du 21/02/1901).