3.3. L’État

La question du rôle de l’État se trouve au coeur du débat entre le collectivisme et l’individualisme ainsi qu’au centre de la pensée politique de Hobhouse. Selon Meadowcroft, la période 1880-1914 est celle qui, sur le plan de l’histoire des idées britanniques, voit émerger la notion d’État en tant que concept central de la théorie politique. En effet, même si le terme n’apparaît pas nommément, puisqu’un collectiviste emploie volontiers les termes de « communauté » (community), municipalité (municipality) ou nation (the nation), l’individualisme, l’idéalisme ou le collectivisme s’attachent alors à en proposer leur définition30. Il faut retenir que les représentants de ces trois courants de pensée sont bien souvent des libéraux : le thème du rôle de l’État peut, à ce titre, être presque décrit comme un débat interne au libéralisme. D’après Meadowcroft, ce fait est dû d’abord à la nécessité de réagir à un nouveau contexte qui se manifeste au travers de trois tendances amorcées à la fin des années 1870 : premièrement, l’expansion progressive de la réglementation (government regulation), qui signifiait que l’intervention de l’État était devenue un fait ; deuxièmement, la marche vers le suffrage universel, qui légitimait cette intervention ; troisièmement, l’insatisfaction de l’opinion publique face à l’ampleur de la « souffrance sociale qui persistait31 » et qui jetait le doute sur la pertinence du laisser-faire. Certes, la tradition libérale était de préserver la liberté de l’individu face à l’autorité du gouvernement, mais, à l’inverse, elle consistait aussi à défier les privilèges et à avoir de la sympathie pour les défavorisés. Il fallait donc « créer une nouvelle version de la doctrine libérale32 » qui se définisse de manière cohérente face au nouveau rôle de l’État :

‘[...] the State itself came to the fore as the central locus of liberal controversy: the correct understanding of ‘the state‘, of its relation to individuals and groups, and of the functions it was equipped to assume, became a point of demarcation among liberal trends. Indeed, attitudes towards ‘the state’ were viewed as crucial to the identification of what constituted liberalism, and the authentic liberal tradition. To this extent, in turn of the century British political argument the state emerged as a theoretical category constitutive of liberal self-identity in a way that it did not for either conservatism of socialism. (Meadowcroft CS, 58)’

On peut donc envisager la pensée politique de Hobhouse comme participant à cette tentative de reconstruction ou de « reformulation » du libéralisme autour de l’État. Dans ce but, l’auteur propose une théorie politique qui se fonde sur un concept rénové de la liberté ainsi que sur une participation active des individus à la société. Il s’agit, en effet, de trouver un équilibre entre l’individu et l’État qui résiste à l’épreuve de la réalité.

Notes
30.

 Voir J. MEADOWCROFT, Conceptualizing the State p. 12. Cet ouvrage est désormais abrégé « Meadowcroft CS ».

31.

 Ibid. p. 55 : « residual social suffering ».

32.

 Ibid. p. 57 : « It was in this context that various groups tired to rework the doctrine ».