3. Raison et harmonie

3.1. La conception organique

Le résultat de l’étude du fonctionnement de la raison dans l’esprit (mind) de l’individu, mène à des conclusions plus larges.

‘The conception of reason which thus emerges is not one of a faculty possessed, prior to and apart from experience, of certain clear and indubitable universal axioms [...] It is the conception rather of a principle operative within experience [...]. (TRG 63)’

En effet, la corrélation60 est la fonction essentielle de l’esprit, et la raison procède selon ce principe, quel que soit l’objet qu’elle appréhende. Ainsi, il ne s’agit pas uniquement pour elle de faire la synthèse des émotions mais bien de toutes les expériences fragmentées, afin d’être en mesure de connaître. Hobhouse formule donc, selon ses propres termes, une théorie de la connaissance exposée dès la parution de Theory of Knowledge, qui est certes l’un de ses premiers ouvrages, mais qui sert de base à toute l’oeuvre et qui inspire notamment l’épistémologie de sa sociologie. Il y montre que grâce au principe d’interconnexion, la raison peut en quelque sorte confronter les expériences et vérifier ce que Ginsberg appelle leur « consilience » (consilience 61) dont il donne la définition suivante :

‘This involves a constant checking of what claims immediacy in the light of other immediate judgments, and concepts formed from them, and a reference back of concepts to the experiences from which they were crystallised. (Ginsberg 208)’

Il semble que l’on puisse distinguer ici une certaine méfiance face à la perception puisque la connaissance n’est possible que lorsque le travail rationnel de synthèse est accompli. Si l’expérience est, indubitablement, une source de connaissance, l’immédiateté n’est pas, pour autant fiable, puisqu’elle ne donne qu’un renseignement partiel, qui peut être trompeur s’il est envisagé seul. Ainsi, selon Ginsberg, Hobhouse « ‘est un fervent critique de l’empirisme’ 62 ». Dans sa philosophie de la connaissance, il distingue d’ailleurs l’interconnexion de la simple cohérence : « ‘la fonction de la pensée rationnelle est d’établir l’interconnexion’ ‘ pas seulement la cohérence’ 63. » Le fait qu’une expérience ne soit pas contredite ne suffit pas à en garantir la pertinence. Il s’agit, en plus, d’entrevoir en quoi elle participe au monde dans sa globalité. L’interconnexion ou « reconstruction expériencielle » (experiential reconstruction) rend donc possible la compréhension de ce qui est donné par l’expérience sans que le jugement puisse être égaré par l’apparence. Elle permet de concevoir l’unité du réel qui s’affirme comme le véritable objet de la connaissance chez Hobhouse : « ‘Sa [la pensée rationnelle] manière de procéder [c’est-à-dire l’interconnexion’ ‘] n’est, pour ainsi dire, pas linéaire mais systématique et tend à révéler l’unité sous-jacente dans un ensemble de jugements qui se corroborent de façon mutuelle’ 64 . »

Or, comme nous l’avons déjà vu , chez Hobhouse, la raison entretient des liens nécessaires avec le réel, il s’ensuit que c’est bien la réalité elle-même qui possède un caractère organique et non pas seulement notre conception de celleci :

‘So far as reality is finally intelligible to reason it must similarly be interpretable as an organic whole, so that we may speak of reason as the ultimate organic principle alike in thought and in reality65.’
Notes
60.

 Ginsberg p. 121 : « The essential function of mind is correlation [...] ».

61.

 Ibid. p. 208.

62.

 Ibid. : « In this side of his enquiries, Hobhouse is an ardent critic of empiricism [...]. »

63.

 Ibid. : « The function of rational thought is to establish interconnection and not merely consistency .»

64.

 Ibid. : « Its [rational thought] procedure is, so to speak, not linear but systematic, and is directed at revealing the pervading unity in a body of judgments in mutual corroboration. »

65.

 TRG p. 64.