3.2. La raison pratique

Comme il a été dit, la raison n’est ni étrangère ni contraire aux sentiments. En examinant l’évolution de l’impulsion instinctive à la raison, Hobhouse a exposé l’unité de l’esprit (mind) et conclut qu’il ne faut pas concevoir la raison comme une faculté extérieure aux sentiments, dont le rôle serait justement de maîtriser ceux-ci, en exerçant un contrôle de l’ordre de la censure ; au contraire, celle-ci s’apparenterait, comme nous l’avons déjà dit, plutôt au sens de l’évolution des sentiments, qui se développent de manière rationnelle : 

‘It is useless to look for anything, call it Practical Reason, Will , or what we may, that stands outside the body of impulse-feeling and controls it. But impulse-feeling is completely transformed by a development [...] into an organized body [...] and articulate conceptions of the significance of conduct. It is within this development, if anywhere that we must look for the practical reason. (TRG 51)’

Il semble important de souligner que si l’argument de Hobhouse conclut que l’action humaine est, in fine, déterminée par la raison, ce sont les mots « raison pratique » qui sont employés. Ce choix n’est, évidemment, pas anodin, d’abord parce que l’adjectif « pratique » renvoie à la place essentielle que Hobhouse accorde à l’expérience. Celle-ci est, comme nous l’avons vu, à l’origine du développement dont il est question ci-dessus, notamment parce qu’elle introduit la notion de finalité dans l’action et de son corollaire, l’intention :

‘We know that on the ground of past experience an idea is formed of a future experience, of an experience that will be gained by a certain act, and this idea regulates the act, reinforcing or checking the impulse to perform it. When an impulse is qualified by such an idea and directed towards an end so anticipated, it becomes purposive in the true sense of the term [...]66.’

Qui plus est, Hobhouse ne peut avoir utilisé le terme « raison pratique » sans avoir pensé à son sens philosophique, particulièrement dans son usage le plus notoire, celui qui est formulé dans La Critique de la raison pratique de Kant. Il semble que l’on retrouve effectivement des convergences entre le projet exposé dans The Rational Good et l’oeuvre de Kant. Nous nous en tiendrons seulement à quelques points communs. Premièrement, le discernement des règles universelles de conduite qui fonderaient l’organisation politique et sociale et qui caractérise l’objet de l’ouvrage The Rational Good et, au-delà de celui-ci, l’oeuvre entière de Hobhouse, semble faire écho « ‘au problème [...] de savoir si des lois et une communauté universelles existent’ 67 », problème énoncé dans la définition des principes de la raison pure pratique :

‘Des Principes pratiques sont des propositions contenant une détermination générale de la volonté à laquelle sont subordonnées plusieurs règles pratiques. Ils sont subjectifs, ou maximes, quand la condition est considérée par le sujet comme valable seulement pour sa volonté ; mais ils sont objectifs, ou lois pratiques, quand cette condition est reconnue comme objective, c’est-à-dire valable pour la volonté de tout être raisonnable68.’

Deuxièmement, l’assimilation de la volonté à la raison pratique est présente chez Kant et troisièmement, le passage de la maxime à la loi, ou du subjectif à l’objectif correspond au passage au rationnel, que l’on trouve notamment dans le passage du bien (the Good) au bien rationnel (the Rational Good). Cette comparaison succincte montre que l’oeuvre de Hobhouse demeure une oeuvre philosophique et annonce que les préoccupations de l’auteur sont, in fine, éthiques.

Notes
66.

 TRG p. 43.

67.

 E. KANT, Critique de la raison pratique, p. 29.

68.

 Ibid. p. 5.