3.3. L’harmonie comme critère de jugement

La raison selon Hobhouse peut avoir accès à la connaissance au sens général, grâce à sa nature organique. En tant que raison pratique, elle s’attache plus particulièrement à distinguer le juste69 du mal (wrong 70), ce qui lui permet de formuler des jugements d’ordre moral, et, en tant que pratique, à appliquer ces jugements à la réalité, c’est-à-dire chercher à construire une société conforme à ces jugements. La validité de ces jugements trouve à nouveau son origine dans le sentiment, puisque le Bien/le Juste est reconnu lorsqu’il y a un sentiment de concordance entre le sentiment (feeling) et l’acte (action) :

‘To sum up. In cognition the rational impulse is to appreciate a connected system. In practise the rational impulse is to establish a harmonious system. What is rational is the interconnection of elements in a pervading unity. In cognition we have the impulse to discover this interconnection as a permanent reality. In practice we have the impulse to create it in the shape of the unity of that Feeling on which generically all impulses rest71.’

Cette concordance est nommée « harmonie » (harmony) : lorsqu’il y a contradiction entre ce que je ressens et ce que je fais, on peut parler de « disharmonie » (disharmony), dans le cas inverse, je suis dans une relation harmonique qui correspond au bien. Pour autant, dans cet exemple, il ne s’agit pas encore d’un bien rationnel, car celui-ci suppose, nous l’avons vu, une qualité objective ou, en d’autres termes, une harmonie complète. Celle-ci doit, donc, non seulement s’appliquer à l’intériorité de l’individu ainsi qu’à son rapport avec l’extériorité, mais aussi de manière universelle, c’est-à-dire à tous les individus, notamment à leurs rapports entre eux : ce n’est qu’à ce stade là que l’on peut parler de Bien rationnel donc objectif. Ce passage du Bien au Bien Rationnel (Rational Good) s’effectue aussi à l’aune de l’harmonie. L’égoïsme, que Hobhouse choisit pour exemple, peut m’apparaître comme bon puisque je ressens individuellement une harmonie entre mon sentiment (feeling) et mon acte (action), il n’en est pas pour autant rationnel puisqu’il implique des préférences contradictoires entre les individus, ce qui va à l’encontre de l’harmonie objective ou vraie (l’harmonie tout court).

Notes
69.

 Nous choisissons cette traduction de « right » parce qu’elle a le mérite de comporter la même ambiguïté que l’anglais right, c’est-à-dire ce qui est juste/correct et ce qui est juste/justice.

70.

 De la même manière, nous comprenons wrong à la fois comme ce qui est faux et ce qui est mal.

71.

 L. T. HOBHOUSE, Development and Purpose p. 266. Désormais abrégé « DP ».