2. Théorie de l’évolution sociale de Hobhouse

2.1. Le contexte : prépondérance de la notion de progrès dans les idées de l’époque.

Si la définition de la tradition comme corollaire du progrès est caractéristique de la pensée de Hobhouse, il convient de rappeler, en revanche, que c’est toute l’époque qui était imprégnée de cette notion de progrès et que, par conséquent, cette préoccupation était commune à beaucoup de penseurs de la fin du 19e siècle et du début du 20e : selon Collini en effet, à cette époque « le progrès est un fait84 ». Les sciences humaines, voire certaines sciences exactes, s’articulaient ainsi autour de la notion de l’évolution et du sens de l’histoire. L’histoire (la science historique) elle-même, contribuait à la certitude du progrès :

‘Mandell Creighton, an Anglican Bishop and historian, asserted that ’we are bound to assume, as the scientific hypothesis upon which history has been written, a progress in human affairs’ [...] Continuous improvement, even of those things which clearly still required it, was guaranteed by historical experience85.’

Le consensus autour de la notion de progrès était tel, que le préalable nécessaire à toute proposition de réforme politique était la démonstration que celle-ci participait du développement social, qui était, précisément, assimilé au progrès. De ce fait, toute argumentation se devait de reposer sur l’idée de progrès et, de même qu’il se peut que Spencer ait été contraint par l’épistémè de se servir de l’idée de progrès pour avancer l’idée d’un État qui n’intervient pas dans les actions de l’individu86, il faut garder à l’esprit que Hobhouse ne pouvait convaincre du bien-fondé de ses propositions politiques qu’en affirmant, à l’aide de la caution scientifique, qu’elles correspondaient au sens de l’évolution sociale : « ‘L’attention que Hobhouse porte à l’évolution sociale participe de son intérêt pour la politique et pour les propositions de réforme économique et sociale’ 87. »

Cependant, on ne peut soupçonner Hobhouse d’avoir orienté à dessein ses travaux sociologiques pour servir ses fins politiques. Il serait, en effet, erroné de concevoir l’omniprésence du concept de progrès comme un simple argument d’autorité. Elle est, au contraire, la marque d’une profonde conviction fondée sur ses recherches en sociologie, qui était, justement, considérée comme la science du développement social et dont on attendait qu’elle fournît des solutions aux maux de la société :

‘J. M. Robertson, historian and Liberal M. P, who “stressed that the social conditions of cities were a political problem to the solution of which sociology could usefully contribute. ‘The question for the sociological student of history is : “How has this inequality of wealth and of service arisen and how is it to be prevented in the future?” (Collini LS 203)’

En effet, la sociologie avait pour tâche de découvrir les causes objectives de l’évolution et permettre au chercheur de distinguer les lois qui régissent le progrès: « ‘Comme l’ont écrit Durkheim et Fauconnet dans leur article que la Sociological Society reproduit de la Revue Philosophique de 1903 : “le progrès est le fait social par excellence’.”88 »

Notes
84.

 Collini LS p160 : « Progress is a fact ».

85.

 E. Hobsbawm, Age of Empire p. 30.

86.

 Voir Collini LS p. 161.

87.

 H. CARTER, The social Theories of L.T. Hobhouse, p. 7 : « The attention to social evolution is part of Hobhouse’s interest in politics and in proposals for economic and social reform. »

88.

 Collini LS p206 d’après Sociological Papers I, 264 : « As Durkheim and Fauconnet put it in their article which the Society reprinted from the Revue Philosophique for 1903, ‘progress is the social fact, par excellence. »