2.2.2. Critique du schéma de l’évolution

Il convient de signaler que la théorie de l’évolution de Hobhouse, et particulièrement cette première partie, a été l’objet de critiques qui ont porté notamment sur la validité de l’étude des sociétés primitives : Hobhouse a, en effet, prétendu que leurs traits communs sont tels que l’on peut incontestablement les classer dans le premier des trois stades de l’évolution sociale et que, lorsqu’il a lieu, le développement vers le stade monarchique93 procède toujours des mêmes conditions et présente des caractéristiques identiques. Pour ce faire, il s’est basé sur une méthode de comparaison statistique qu’il avait lui-même mise au point : « ‘Un traitement statistique qu’il avait conçu lui-même et que l’étudiant prudent ne peut accepter a priori’ 94 ». Le scepticisme de Carter semble d’autant plus judicieux que les recherches de Hobhouse sont ambitieuses. En effet, il s’agit ni plus ni moins d’établir scientifiquement que l’évolution possède un sens commun, donc de distinguer une unité dans l’évolution de toutes les sociétés ou, du moins, de toutes les formes sociales connues. Or, mettre au jour les mécanismes sociologiques de l’évolution en considérant l’histoire des sociétés, semble être une tâche démesurée et il serait peu prudent d’accréditer l’idée qu’elle est effectivement réalisée dans l’oeuvre de l’auteur, du moins exhaustivement et avec l’objectivité annoncée. La problématique essentielle réside, en fait, dans la légitimité de la méthode qu’utilise Hobhouse. Si celle-ci est réellement sociologique, comme il le revendique, alors elle se doit d’abord de constater des faits, en toute neutralité, et d’en donner, ensuite, une interprétation. Or, le caractère systématique du schéma présenté ci-dessus peut amener le lecteur de l’oeuvre de Hobhouse à soupçonner l’auteur d’avoir pratiqué la démarche inverse, à savoir, d’avoir orienté ses recherches de manière à ne prendre en compte que les faits qui concorderaient avec une théorie préalablement établie. Dans ce cas, la théorie du développement social de Hobhouse se révélerait, en fait, comme étant une interprétation a priori de l’histoire de l’évolution sociale. Le postulat serait, en fait, qu’il existe une force sous-jacente qui dirige la société vers l’harmonie, et la description de l’histoire de la société en trois stades de progression aurait été énoncée de manière à faire coïncider ce postulat et la prétendue réalité historique.

Outre la crédibilité de la théorie du développement, ces critiques mettent aussi en cause la cohérence du système hobhousien car elles impliquent que la sociologie de l’auteur serait fondée sur une conception téléologique de l’histoire et ne serait pas, de ce fait, de nature scientifique. On pourrait alors estimer que Hobhouse n’a pas rigoureusement appliqué sa théorie épistémologique selon laquelle la rationalité se fonde sur la connaissance acquise par l’expérience, et malgré ses démentis fréquents, voir dans sa pensée une parenté certaine avec l’idéalisme95. La frontière est, en effet, parfois mince entre la constatation des faits et l’interprétation. Par exemple, lorsque Hobhouse remarque que les hommes de couleur ne sont pas encore considérés comme égaux, il sous-entend que l’égalité est inexorable, affirmant par là même que l’évolution de la société ne peut avoir lieu que dans le sens du développement qu’il a formalisé.

Notes
93.

 Au stade monarchique correspondent les monarchies absolues, les empires et le système féodal.

94.

 H. CARTER, The social Theories of L.T. Hobhouse p. 7 « [...] a statistical treatment of his own devising and this the cautious student cannot accept at its face value. »

95.

 Voir le rapport avec l’idéalisme dans le chapitre 4, section 1.