2.2.4. Les critères du progrès

Puisque Hobhouse distingue l’évolution sociale du progrès, au sens d’une amélioration réelle, il lui reste à définir ce qui constitue le progrès véritable. Pour ce faire, il utilise le schéma résumé ci-dessus105. En fait, cette enquête comparative constitue le cadre qui permet d’appréhender et de définir la notion de progrès, qui reste qualitativement liée au degré d’harmonie détectable dans la société observée. L’auteur observe que l’une des tendances fondamentales de l’évolution est que les sociétés connaissent une expansion au moins géographique et démographique. Cependant, deux sociétés de même taille peuvent, par exemple, avoir différents degrés de cohésion. Dans l’une des deux, les habitants pourront être contraints de respecter les règles sociales, tandis que dans l’autre, les citoyens collaboreront librement à la vie en commun. En d’autres termes, au même stade de l’évolution ou, a fortiori, à un stade différent, un degré plus ou moins grand d’harmonie peut exister au sein d’une société. Les critères qui permettent d’évaluer celui-ci sont au nombre de quatre :

  1. L’échelle (scale) : il s’agit de la quantité de la population et de l’éventail des activités qui composent la vie sociale. L’évolution historique des modèles sociaux montre que la tendance est à la croissance de l’échelle de la société.

  2. L’« efficience » (efficiency) : ce critère mesure la qualité de l’organisation sociale, la division des tâches et leur bonne coordination qui permet à la société d’atteindre les buts qu’elle se fixe. L’« efficience » augmente en général en même temps que l’échelle.

  3. La liberté (freedom) et 4. la mutualité (mutuality) : ces deux critères sont intrinsèquement liés, puisque la liberté est définie comme le degré de possibilité d’initiative et de développement de la personnalité, de la participation spontanée ou, au contraire, imposée, tandis que la mutualité est constituée du degré de coopération volontaire entre les individus, de leur contribution spontanée au Bien Commun. Cependant ils sont distingués dans la mesure où ils pourraient s’opposer, si la contribution volontaire au Bien Commun monopolisait en quelque sorte l’individu, ne laissant plus à sa personnalité la possibilité de s’épanouir pleinement. La croissance de l’échelle et corollairement de l’« efficience », ont d’abord pour conséquence de lui nuire, puisque l’organisation sociale est privilégiée, quitte à contraindre les individus à y participer, mais dans un deuxième temps, on constate que la dégradation de la liberté et de la mutualité, engendrée par la soumission des individus à l’organisation sociale, a pour conséquence une perte de dynamisme, engendrant à son tour un déficit d’« efficience ».

Ainsi, ces phénomènes agissent les uns sur les autres, même s’ils peuvent se développer dans une relative indépendance, voire s’opposer entre eux. Par exemple, la croissance de l’échelle et l’organisation peut se faire au détriment de la liberté et de la mutualité, de même qu’elle peut, au contraire, encourager leur amélioration. Cependant, l’évolution n’est considérée comme un progrès que lorsque chacun de ces quatre critères est développé. Dans ce cas, en effet, la cohésion sociale est renforcée et va dans le sens d’une plus grande harmonie.

Notes
105.

Voir chapitre 2, section 2.2.1.