4.2. Remplacement de la compétition par la coopération

Cette modification serait, elle aussi, constatable empiriquement :

‘The establishment of such an ideal (of collective humanity), to which as a fact the historical development of the moral consciousness point, is the goal to which the mind, in its effort to master the conditions of existence necessarily strives, and all the previous stages of mental evolution may be regarded a marking steps in the movement to this end. (Democracy and Reaction 108)’

Hobhouse explique celle-ci, notamment par le fait que ce stade du mouvement réflexif affranchit l’individu de la nature, au sens où l’entendent les darwinistes sociaux. Ainsi, la conscience de soi et le mouvement vers le rationnel soustraient l’homme aux lois figées de l’évolution des espèces animales, c’est-à-dire à la survie des plus forts : « ‘Nous ne devons pas précipitamment présumer de tendances inévitables dans les sociétés humaines, parce que dès lors que la société a conscience de ses tendances, un fait nouveau est introduit’ 120. »

Au contraire, en prenant progressivement conscience de l’unité de l’humanité, l’individu ne peut manquer de remplacer le principe de compétition par celui de la coopération, qui est plus propice à la survie du groupe, d’une part, et qui, d’autre part, reflète la réalité organique. L’histoire de l’humanité rend donc compte de l’émergence et de l’affermissement progressif des deux caractéristiques de l’homme : sa rationalité et sa dimension morale. Il est important de noter que l’auteur constate que toutes deux sont présentes depuis l’origine même de l’homme. En effet, la pensée magique ou superstitieuse, bien qu’irrationnelle, exprime le besoin de sens, tandis que les formes primitives de la religion comportent toujours l’idée d’une rétribution divine du bien et du mal, ce qui traduit l’aspiration à la justice. Au fur et à mesure du développement, ces tendances s’incarnent dans le réel, dans ce qui équivaut finalement à une réalisation de l’individu grâce au progrès. C’est donc, à nouveau, au moyen de l’analyse sociologique que Hobhouse fait apparaître l’individu accompli comme un être moral et rationnel, qui est à l’opposé de la conception des évolutionnistes, qui décrivent l’homme dans une relation de concurrence avec autrui, dans laquelle se joue sa survie. En paraphrasant la théorie de ces derniers, il conclut que les individus les plus aptes à la vie sont ceux qui sont « aptes moralement »121, (morally fit) parce qu’ils permettent le développement de la coopération dans la société. On retrouve ici la méthode hobhousienne typique qui consiste à donner une légitimité scientifique à des arguments moraux voire, en l’occurrence, à la morale elle-même. L’auteur s’empresse d’ailleurs de se justifier à cet égard. Il réfute, en effet, l’idée d’un amalgame en affirmant avoir à l’esprit la distinction entre la science sociale et la philosophie sociale, mais prétend que la conjonction est donnée dans la réalité :

‘Analysing a society as an existent fact, we find in it a co-operative principle. Analysing the good as a system of values, we again find the co-operative principle. So far there is coincidence. (SD 93)’

De plus, l’évaluation du développement selon des critères moraux, est présentée comme faisant partie intégrante du rôle du sociologue :

‘Ethics ought legitimately to come into sociology at a certain stage. For if we treat sociology as an investigation into human development, the supreme question will be, ‘What is the tendency of that development ? Is there a lower and a higher in it ? Is evolution a process making for the betterment, perfection and happiness of mankind, or a mere grinding out of the mechanical mill of existence of forms of life, one no better than another, the outcome of blind forces, and destitute of any characteristics which can fill us with hope for the future of society?’ That question is always before us. It must be in the back of our minds, if not in the front of our minds. But before we can answer, or even ask this question in a scientific spirit, we must know what we mean by higher or lower; and for this purpose we must have a philosophically thought-out standard of value as a test by which we can appraise the different stages of evolution. In that sense, then... ethics is necessary to sociology122.’

Notes
120.

 SE p. 16 : « We are not hastily to assume inevitable tendencies in human societies, because the moment that society is aware of its tendencies a new fact is introduced. »

121.

 Collini LS p. 173.

122.

 Collini LS p. 206, citant Hobhouse « in a discussion of 1904 ».