2.1.1. La réconciliation selon Hobhouse

Hobhouse a donc tenté de réduire les contradictions entre ces deux courants apparemment fort distincts et a sans doute donné là le meilleur exemple de son talent de réconciliateur. Si celui-ci est l’un des traits les plus décriés de l’auteur, il est aussi, rappelons-le, l’expression logique de sa philosophie exposée dans la première et la deuxième partie de ce chapitre. La reformulation est une conséquence inéluctable de la nature du fonctionnement de la raison, telle que la conçoit Hobhouse.

‘The critical and reconstructive work that Hobhouse finds in the function of reason is nowhere better illustrated than in his own work in political and social theory. In no other sphere of inquiry is there a better opportunity for such work. For the complexity of the subject matter in this field is such that only by unceasing criticism and reconstruction can one hope to formulate an adequate philosophy131.’

Le « nouveau libéralisme » est ainsi décrit comme le résultat de l’évolution du libéralisme classique, que Hobhouse appelle parfois, pour insister sur la chronologie, « older Liberalism» voire « old Liberalism ». Plusieurs arguments utilisés pour affirmer le lien entre les deux libéralismes sont directement issus des concepts d’évolution orthogénique, de raison et d’harmonie. En premier lieu, la raison tire sa connaissance de l’expérience et renouvelle constamment sa conception de la vérité, ce qui permet à Hobhouse de prétendre que les expériences sur lesquelles se fonde le raisonnement libéral seraient différentes au tournant du siècle de ce qu’elles furent à l’époque victorienne, et donneraient ainsi lieu à de nouvelles conclusions. Sur le long terme, l’expérience montrerait, par exemple, que tous les membres d’une société ne bénéficient pas, ipso facto, de l’enrichissement de celle-ci, par conséquent l’idée de l’intervention de l’État pour permettre une meilleure distribution s’imposerait à tous les progressistes, pour remplacer la notion de la main invisible chère aux « vieux libéraux », ne serait-ce que parce que, selon Hobhouse, la promotion du Bien Commun (Common Good) figure traditionnellement parmi les préoccupations libérales. De plus, grâce au phénomène croissant d’interconnexion, la raison serait de plus en plus apte à appréhender les liens organiques qui unissent les individus entre eux. Il en résulterait, notamment, le recul de l’individualisme. Enfin, pour Hobhouse la pensée est un phénomène social (social fact) qui, en tant que tel, est soumis aux même processus d’adaptation à l’évolution de la société. L’idée libérale est ainsi nécessairement conçue comme participant de l’évolution générale. Or, selon l’auteur, les conditions de l’apparition du libéralisme auraient été l’émergence de l’État moderne132 qui, dans sa première phase de développement, accordait, certes, la liberté personnelle (personal freedom 133) à tous, mais continuait d’exercer un pouvoir autoritaire134. Le libéralisme aurait donc d’abord eu pour but principal de revendiquer la liberté de chacun contre la tyrannie de l’État, pour des raisons historiques :

‘The modern State [...] starts from the basis of an authoritarian order, and that the protest against that order, a protest religious, political, economic, social and ethical, is the historic beginning of Liberalism. (Lib 8)’

Hobhouse affirme, néanmoins, que ce but serait en grande partie atteint à son époque. Le risque de tyrannie du pouvoir ayant été écarté, la lutte contre l’État ne serait plus justifiée. Cette analyse de l’évolution du libéralisme semble avoir constitué l’un des arguments principaux des « nouveaux libéraux » puisqu’on la trouve aussi sous la plume de Haldane :

‘Today it is not for individual freedom that we have to struggle against class privilege. That battle was fought by our ancestors and won. But we have to win a yet harder fight, a fight for emancipation from conditions which deny fait play to the collective energy for the good of society as a whole135.’

Il s’agirait donc pour le libéralisme, de poursuivre son oeuvre en passant à un stade non plus de protestation (protest) contre le pouvoir autoritaire, désormais réduit en Grande-Bretagne, mais de construction d’une société en accord avec ses principes, que Hobhouse détermine dans l’ouvrage éponyme.

Notes
131.

 J. A. NICHOLSON, « Some aspects of the philosophy of L.T. Hobhouse », p. 52.

132.

 Hobhouse se fonde, dans le premier chapitre de Liberalism, sur le schéma de l’évolution politique des sociétés, qu’il a détaillé dans Social Development et dont nous avons traité dans le chapitre 2.

133.

 L. T. HOBHOUSE, Liberalism p. 8. Cet ouvrage est désormais abrégé « Lib ».

134.

 Voir chapitre 2 section 2.2.1. Le schéma général de l’évolution des modèles sociaux.

135.

 R. B. Haldane, « The New Liberalism », p. 141, 142.