1.2.1. Le plan métaphysique

Sur le plan métaphysique d’abord, Hobhouse reproche à l’idéalisme de confondre le réel et l’Idéal185 : «  [...] ‘ce que nous reprochons principalement à la méthode idéaliste est de se fonder sur la confusion fondamentale entre l’idéal et le réel et de ne jamais la corriger’ 186. » Pour l’idéalisme, en effet, « ‘seul est vraiment, réellement, le tout ’» des déterminations de l’être :

‘Un tel tout idéalisant ce qu’il totalise est ce que Hegel désigne comme l’Idée, en reprenant le sens kantien du terme, mais en conférant à son contenu — retour à l’exaltation platonicienne — la réalité et la vérité absolue187.’

Hobhouse a rejeté cette conception dès sa période à Oxford qui avait pourtant été à cette époque gagnée par l’idéalisme de Green et de ses successeurs. Son ouvrage The Theory of Knowledge fut d’ailleurs mal accueilli par ses pairs et cet échec est interprété par les biographes comme l’une des raisons de son départ :

‘Hobhouse was a well-known critic of Idealism; indeed, his first major philosophical work, The Theory of Knowledge (1896), was intended as a realist critique of the essential Idealist ‘fallacy’ — ‘that consciousness must in some way sustain in its existence the reality that it knows, that what exists for knowledge exists only by our knowledge’188.’

À ce «faux raisonnement » (fallacy) l’auteur oppose sa propre théorie de la connaissance laquelle, comme nous l’avons écrit, provient de l’expérience. Il existe, par conséquent, une contradiction irréductible entre le réel hobhousien, proche de l’empirisme, et le réel tel qu’il est conçu par l’idéalisme. La querelle s’oriente, dès lors, vers un désaccord sur les concepts voire sur les mots : « ‘pourquoi alors ne pas admettre que ce n’est pas réel mais idéal’ 189 ? ». Les termes « raison », « rationnel », « entendement » et « volonté » sont l’objet d’une définition différente qui rend toute comparaison difficile. Selon Collini, en tout cas, une partie de l’opposition de Hobhouse à l’idéalisme proviendrait d’une mauvaise compréhension due, notamment, à cette question de vocabulaire. Lorsque Hobhouse accuse l’idéalisme de détourner l’individu de la raison et de faire disparaître la frontière entre le vrai et le faux, il semble, effectivement, qu’il refuse de se situer dans une autre perspective que la sienne, ce qui le conduit, parfois à jouer sur les mots. Dans l’extrait ci-dessous, par exemple, il utilise le terme « idéalisme » (idealism), d’abord au sens d’un « système philosophique qui ramène l’être à la pensée et les choses à l’esprit », qu’il assimile implicitement à « idéal », afin de réemployer le terme « idéalisme », cette fois-ci, dans son sens courant « attitude d’esprit ou forme de caractère qui pousse à faire une large place à l’idéal, au sentiment pour améliorer l’homme190 » :

‘This theory is commonly spoken of as idealism, but it is in point of fact a much more subtle and dangerous enemy to the ideal than any brute denial of idealism emanating from a one-sided science. (MTS 18)’

Pour l’auteur, toute philosophie qui nie la capacité de la raison (l’idéalisme emploierait probablement ici le terme « entendement ») à appréhender la vérité au travers de l’expérience qui met au contact des faits (true facts), rend son progrès impossible. C’est au contraire la révision de la vérité par l’expérience qui donne accès au réel. Celui-ci reste toujours à découvrir, ce qui signifie que l’erreur est inévitable mais qu’elle est, justement, corrigée par l’expérience : « ‘dans la philosophie de notre auteur [Hobhouse], l’inconnaissable est transmué en « ce qui n’est pas encore connu’ ». [...] ‘Notre connaissance n’est limitée que parce que notre expérience est limitée’ 191. »

Notes
185.

 Nous orthographions Idéal avec une majuscule, lorsque le terme signifie « ce qui relève de l’idée ».

186.

 MTS p. 23 : « [...] our general charge against the method of idealism must be that is starts with and never corrects the fundamental confusion of the ideal and the actual. »

187.

 B. BOURGEOIS, Hegel, p. 60.

188.

 J. MEADOWCROFT, introduction à Liberalism, p. xiii.

189.

 MTS p. 49 : « Why not then admit that it is not real but ideal [...]? »

190.

 Ces deux définitions sont données par le petit Robert, édition 1987.

191.

 J. A. NICHOLSON, « Some aspects of the philosophy of L.T. Hobhouse », p. 73 : « in our author’s [Hobhouse] philosophy, the unknowable is transmuted into the ‘not yet known’ [...]. Our knowledge is limited only because our experience is limited. »