2.3.2. Réfutation de l’évolutionnisme

Hobhouse s’en prend à un argument fragile de la théorie biologique, qu’il récapitule comme suit : «  ‘[...] plus la vie commune en société est organisée, plus il est certain qu’elle déclinera’ 231. » Or cette affirmation peut être contredite sur le plan même de la biologie. L’auteur remarque que les formes de vie les plus élevées dans le règne animal, sont celles où les parents s’occupent le plus de leurs enfants, ce qui, si l’on accepte la validité de l’application des théories biologiques, tend à corroborer le présupposé du philosophe social, à savoir qu’une vie commune est le signe d’un degré avancé de développement :

‘[...] the highest ethics is that which expresses the completest mutual sympathy and the most highly evolved society, that in which the efforts of its members are most completely coordinated to common ends, in which discord is most fully subdued to harmony232.’

Cette réfutation de l’évolutionnisme sur son propre terrain est un exercice que semble affectionner Hobhouse. Il débouche sur un argument qu’il utilise dès l’écriture de The Labour Movement, en procédant de manière semblable. Il résume d’abord le point de vue des évolutionnistes :

‘The natural result of the struggle is the survival of the fittest, which is the means of the gradual evolution of [to] higher from lower forms. So in human life...in this way by slow degrees we attain to a higher type... Happiness and perfection are reached by men and by other organisms when they are thoroughly well adapted to their environment, and the supreme law of progress is that the ill-adapted being should be left to die233.’

Bien que ce résumé soit fidèle aux articulations du raisonnement qu’il reprend, le ton ironique de l’auteur qui fait apparaître dans la même phrase la notion implicite de l’espoir de l’humanité « the supreme law of progress » et le morbide « left to die », tend à faire naître le trouble dans l’esprit du lecteur. Il est, ainsi, d’autant plus disposé à suivre Hobhouse dans la réfutation de ce raisonnement. L’auteur procède par une analyse minutieuse dont l’objet est d’abord de contester la logique même du raisonnement :

‘‘Now we fully agree with the evolutionists in their main position. It is desirable that the fit should succeed and the unfit fail... But who are the unfit? “Those who are ill-adapted to their environment” say the evolutionists. Quite so.’ The lineaments of the argument are all too familiar. But what, asks Hobhouse, ‘is the environment of man? The society of other men. Then who is the fit man ? Clearly the man who is best adapted for social life.’ The argument here begins to be Socratic in its sophistry as well as its style. For, asks Hobhouse rhetorically, who is this man? ‘Is he the bold unscrupulous man of force, the exacting, the merciless, the ungenerous?... Or is he the merciful and generous man of justice, whose hardest fights are fought for others’ lives, who would rather, with Plato, suffer wrong than inflict it, and who will lay down his life to serve mankind?’234

Mais comme le souligne Collini, la rhétorique masque le fait que l’auteur opère un déplacement :

‘Such rhetoric was no substitute for refutation and the real issue-the extent to which man is subject to the uncontrollable operation of wider biological laws- is ducked. It was uncontentious to conclude that the second type of man ‘is fittest morally to survive in a society of mutually dependent human beings; And that the morally fittest shall actually survive and prosper is the object of good social institutions’. Here was that characteristic tendency to reduce social problems to moral questions, and then to appeal to an ethical ideal so widely defined that it was unobjectionable235.’

La riposte de Hobhouse repose donc sur trois points : en tout premier lieu, la biologie ne peut pas rendre compte de la société, parce que l’homme en accédant à la rationalité s’est soustrait aux déterminations du monde animal. Deuxièmement, quand bien même on considère les affirmations des darwinistes, il apparaît que les principes de la survie sont favorables, au lieu de la nier, à la possibilité d’un comportement altruiste. En effet, si l’on se fonde sur le darwinisme, on peut choisir de mettre l’accent sur les luttes entre les espèces plutôt qu’au sein d’une même espèce : dans un tel cas, l’individu ne lutte pas pour sa propre survie mais il coopère avec les autres membres de son espèce, ce qui, dans le cas de l’homme, revient à une attitude humanitaire propice à la survie de l’humanité. Cela mène au troisième point, qui permet à l’auteur d’achever la synthèse de ses influences : la meilleure adaptation de l’individu n’est pas fonction de sa force mais de sa moralité, ce terme étant finalement assimilé à la disposition altruiste. Cette conclusion rejoint le positivisme, puisque l’éthique acquiert, ainsi, une base scientifique.

Notes
231.

 SE p. 23 : « [...] the more highly organized the common life of society the more surely it is destined to decay. »

232.

 Ibid.

233.

 TLM, cité par Collini LS p. 172.

234.

 Ibid.

235.

 Ibid.