2.4. Personnalité et liberté

En postulant la liberté comme l’aboutissement d’un développement rationnel, Hobhouse est proche du Mill de On Liberty : « ‘Le développement harmonieux de tout son potentiel est donc l’horizon vers lequel doit tendre l’individu chez Mill’ ‘ et Hobhouse’ 254. » Il s’est inspiré d’une idée devenue influente surtout à partir des années 1880255, à savoir celle de la promotion de la personnalité (« character »), qui met l’accent sur le devenir et le potentiel de l’individu. Le terme apparaît déjà « ‘dans les écrits de Mill’ ‘ et de Spencer’ ‘ » comme « dans les discours de Gladstone’ ‘ et de Bright’ 256 » et est rattaché aux notions de progrès et de bonheur (happiness). En outre, cette notion provient, notamment, des socialistes utopiques, chez qui elle se trouve invariablement liée à l’épanouissement de la personnalité au sein de la communauté, comme, par exemple, dans le phalanstère de Fourier. Bien que les conservateurs surent en trouver une définition plus individualiste, en insistant sur l’autonomie de la personnalité, elle contient des implications collectivistes, au moins dans l’interprétation qu’en font les partisans d’une plus forte intervention de l’État : elle engendre, en effet, le passage de l’idée d’autosuffisance (self-reliance) à celle d’accomplissement de soi (self-realization). En outre, elle permet de s’éloigner d’une conception de la liberté en tant qu’absolu imprescriptible, puisque l’accent est mis sur la liberté de se réaliser et non plus la liberté en soi. La liberté cesse d’être une fin pour devenir le moyen de la réalisation. Elle est justifiée de façon téléologique. Or, si sa raison d’être est l’épanouissement de l’individu, il devient possible de la remettre en cause lorsqu’elle n’y participe pas. Pour Hobhouse et les « nouveaux libéraux », en tout cas, l’argument est simple. La société garantit la liberté de chacun et de celle-ci dépend le développement de la personnalité, par conséquent, la société doit encourager le développement (rationnel selon Hobhouse) de chacun :

‘Liberalism is the belief that society can safely be founded on this self-directing power of personality, that it is only on this foundation that a true community can be built [...] liberty then becomes not so much a right of the individual as a necessity for society. It rests not on the claim of A to be let alone by B, but on the duty of B to treat A as a rational being. (Lib 59)’

Or, comme nous l’avons écrit plus haut, la liberté est désormais une liberté concrète définie positivement comme capacité, ability to. La société doit donc intervenir pour agrandir le champs des capacités de l’individu, en garantissant concrètement des chances égales et ne plus se contenter de laisser libre (unhindered) celui qui aurait saisi sa chance.

Notes
254.

 M. CHRÉTIEN, « Le « Nouveau libéralisme » de L.T. Hobhouse », p. 16, in M. CHRÉTIEN dir., Le Nouveau libéralisme anglais, pp. 9-35. Cet article est désormais abrégé Chrétien.

255.

 Voir Collini LS p. 32.

256.

 Collini LS p. 29.