3.3. La justice : restriction de la liberté pour permettre l’égalité ?

La liberté de l’individu cesse, donc, d’être le seul élément d’appréciation du bien-fondé de la revendication d’un droit. Si le concept d’harmonie permet d’affirmer qu’elle ne s’oppose pas au Bien Commun, et d’échapper théoriquement au conflit entre société et individu, Hobhouse a, toutefois, tranché : dans le cas extrême où il ne serait pas possible de réconcilier la revendication de l’individu avec les exigences du Bien Commun, il faudrait privilégier la collectivité :

‘When all has been done that can be done to save the individual conscience the common conviction of the common good must have its way. In the end the external order belongs to the community, and the right of protest to the individual. (Lib 71)’

Selon l’auteur, c’est, en définitive, le critère de justice qui doit déterminer le choix d’accorder un droit. Il semble qu’il faille comprendre ici le terme de justice comme signifiant, d’une part, l’égalité entre les individus qui constitue, finalement, la condition de l’harmonie sociale et qui marque la limite de la liberté de chacun et, d’autre part, comme ayant trait au bien de la collectivité, prise dans son ensemble. Il est, par exemple, intéressant de noter que même dans le cas du droit de vote, Hobhouse, qui est pourtant un démocrate convaincu, envisage d’abord l’intérêt collectif :

‘The franchise is no matter of ‘abstract right’; it is not, that is to say, a right which holds good and is entitled to observance without any regard to other considerations. No right holds good in such a sense. A right is a claim founded on justice, and justice is that arrangement which an impartial judgement would decide to be the best possible for the whole group of those whom it affects. It may not be the best for anyone considered by himself but it is the best for the whole to which he belongs. [...] And, as with other rights, so with the right to vote; It is not a claim to which the social welfare must bow, but a claim which the deeper consideration of the social welfare makes good260.’

Ainsi, il est désormais nécessaire de se placer dans la perspective de la collectivité pour déterminer ce que doit être un droit. Il faut signaler ici que Hobhouse s’inspire directement de Green selon lequel « ‘le seul fondement rationnel’ ‘ pour l’attribution à l’individu du droit à une vie libre réside dans le fait que l’on attribue par là la capacité à contribuer au bien social’ 261 ». En règle générale, donc, un droit est accordé quand il est, à la fois, conforme à l’exigence morale, de nature à contribuer au Bien Commun, et qu’il n’empiète pas sur les droits d’autrui, c’est-à-dire sur sa liberté effective. Les implications pratiques sont nombreuses. L’une des illustrations, donnée par l’auteur, est celle de la question du droit à la liberté commerciale. Si un employeur veut attribuer un salaire peu élevé à son employé, ou bien si un commerçant veut fermer plus tard son magasin, son droit dépend des implications collectives de cette liberté. Ainsi, il oblige indirectement les autres à baisser les salaires ou à rester ouvert le soir, sous peine de ne plus être concurrentiels. Maintenir ce droit équivaudrait à confondre liberté et indépendance. Le droit à décider librement signifie ici que les autres n’ont plus la même liberté de choix. L’égalité requiert que l’on empiète sur la liberté du commerçant ou de l’employeur en question pour préserver celle de ses collègues.

Notes
260.

 L. T. HOBHOUSE, « Government by the People », p. 124.

261.

 T. H. GREEN, Principles of Political Obligation : « But the only rational foundation for the ascription of this right [the right of the individual man to free life] is ascription of capacity for free contribution to social good. » §207, p. 157.