3.6. La liberté antisociale

Dans la description que fait Hobhouse de la société, ce sont, plutôt que l’État, certains individus qui induisent les inégalités et ce, justement, au nom d’une prétendue liberté. Contrairement aux restrictions qui émanent de l’État, de telles atteintes sont tout à fait illégitimes parce qu’elles n’ont aucune justification morale. L’un des principaux défauts de l’application du principe de liberté traditionnelle qui limite l’intervention de l’État réside dans le fait que les forts finissent par user de leur liberté pour exercer un pouvoir sur les faibles et portent, par conséquent, atteinte à leurs droits. Hobhouse est, donc, amené à distinguer entre la liberté qui implique un pouvoir sur autrui et celle qui n’est pas une menace à sa liberté. Dans le cas de la « liberté antisociale », l’intervention de l’État devient nécessaire pour protéger l’individu. L’argument de Hobhouse part ici d’une base consensuelle ; même les conceptions les plus restrictives du rôle de l’État reconnaissent, en effet, son rôle de défenseur de l’intégrité physique de l’individu :

‘Where physical strength alone prevails the strongest man has unlimited liberty to do what he likes with the weaker; but clearly, the greater the freedom of the strong man the less the freedom of the weaker. What we mean by liberty as a social conception is a right to be shared, by all members of society, and very little consideration suffices to show that, in the absence of restraints enforced on and accepted by all members of a society, the liberty of some must involve the oppression of others. (IS 155)’

Mais il va sans dire que Hobhouse ne s’en tient pas là. Est, potentiellement, définie comme « liberté antisociale », tout pouvoir exercé sur les personnes, au travers d’un lien contractuel, comme le pouvoir d’un employeur sur son employé, ou d’un rapport indirect qui a des conséquences sur les besoins fondamentaux de l’individu, comme le pouvoir de fixer le prix du pain :

‘Just as the liberty of the strong man to assail the weak destroys the liberty of the weak man to call his body his own, so - to take an instance from our own contemporary experience - the liberty of the motor-car to use the roads may, and often does, go so far as to impair the liberty of any other class of vehicle or the liberty of pedestrians to use the same road for their purposes. (IS 155)’

Lorsqu’il use de pareilles comparaisons, Hobhouse semble jouer sur les mots : il fait, en effet, l’amalgame de deux sens possibles du terme « liberté » : la liberté de l’individu qui est mise en péril par l’attaque de l’homme faible par l’homme fort dans l’extrait ci-dessus peut être décrite comme la liberté « au sens étroit » du terme, celle, justement, qui est supprimée lorsqu’une personne est « sous la dépendance absolue de quelqu’un271 ». En revanche, on ne peut considérer sur le même plan l’atteinte à la liberté du piéton par la liberté du conducteur de voiture, parce qu’il ne s’agit pas ici d’une suppression de la liberté de l’individu. Il semble qu’il faille voir dans cet usage quelque peu abusif du mot, une des nombreuses expressions de la volonté de Hobhouse d’inscrire sa politique dans la tradition libérale. L’argument de la « liberté antisociale » participe, en effet, de la stratégie de réconciliation décrite au chapitre 3, dans la mesure où la tradition libérale est bien de combattre les pouvoirs liberticides. Si l’on peut persuader l’opinion que ce pouvoir liberticide n’est pas exercé seulement par la tyrannie politique, alors on peut convaincre de la nécessité de réglementer l’organisation sociale.

Notes
271.

 Dictionnaire petit Robert, édition 1987.