1.4. Associations de contrôle

Hobhouse croyait, néanmoins, que la forme associative devait jouer un rôle dans l’organisation économique et sociale, à condition, toutefois, qu’elle respectât les règles fixées par les exigences du Bien Commun. Loin d’exercer des monopoles ou des pressions catégorielles, l’association est, au contraire, conçue, dans la politique hobhousienne, comme le lieu de la réconciliation des intérêts personnels dans l’intérêt collectif. De taille plus réduite que les organismes étatiques, les associations sont propices au débat, ce qui permet la prise en compte des points de vues divergents. Elles sont, en fait, des organismes de négociation essentiels au bon fonctionnement démocratique :

‘It is not possible to impose compulsory arbitration as a universal law on unwilling parties, but it is not impossible to build up modes of impartial settlement by common sense which shall eventually get themselves generally accepted by proving their superiority to the method of hard bargaining.‘. At any rate, the renewal of willing co-operation is the condition of survival for British industry, and this is not attainable without provision for the agreed as against the competitive settlement of industrial conditions. (TP 277)’

Hobhouse, dès l’écriture de The Labour Movement, appelait de ses voeux la création de telles organisations, afin de poursuivre le travail des syndicats : leur objet était de « ‘mettre en corrélation l’offre et la demande, afin d’éviter le gaspillage actuel du travail d’un côté et de la vie humaine de l’autre’ »294. Un pouvoir certain leur était conféré puisqu’elles seraient habilitées à répartir les richesses produites par l’industrie dont elles seraient issues :

‘Secondly, they must put the surplus of wealth remaining after the producer’s claims are ‘fairly’ satisfied at the disposal of the community for the common use. (TLM 32)’

L’idée de tels organismes avait commencé à émerger en Angleterre alors que les législateurs étaient aux prises avec le problème de la sweating industry ; la loi de 1896 établit des « ‘special boards élus, mi-partie ouvriers, mi-partie patronaux, pour la fixation ’», notamment, « ‘du salaire minimum au temps ou aux pièces’ 295 », dans quatre professions qui paraissaient menacées par le sweating. Puis, une extension de ce système fut proposée à la chambre par le Wage Boards Bill dès 1900. Mais c’est seulement en 1909, que, sous la pression de l’opinion, le parlement vota le Trade Board Act, inspiré des wage boards australiens et présenté par Winston Churchill :

‘Le bill, qui fut adopté par les deux Chambres sans jamais soulever d’opposition sérieuse, établissait, dans les métiers où les salaires seraient jugés exceptionnellement bas, des Trade Boards, composés de membres élus ou nommés selon les circonstances, représentant en nombre égal les employeurs et les employés et aussi de membres choisis par l’État (en nombre toujours inférieur à la moitié du nombre des membres élus). A la tête du board, un président et un secrétaire nommés par le ministre. (Halévy 243)’

Bien que ce ne fût pas officiellement admis, les Trade Boards étaient, de l’avis général, un pas décisif vers le salaire minimum, dont Hobhouse était partisan. Les réformateurs (dont les Webb) furent, d’abord, favorables à cette idée. Ramsay MacDonald, alors député aux Communes, fit un voyage en Australie où il étudia le fonctionnement des Wage Boards. A son retour il affirma, cependant, qu’un salaire minimum n’était pas souhaitable, puisqu’il était inévitablement suivi d’une augmentation des prix, qui annulait l’effet de l’augmentation des salaires. Parce qu’il était « ‘impressionné par l’argument de MacDonald’ »296, Hobhouse commença, donc, par étudier la question des Trade Boards et conclut, au contraire, qu’ils seraient fortement bénéfiques ; lorsqu’ils furent mis en place, il s’y intéressa beaucoup, pour finir par en être membre, conforté dans sa conviction de leur bien-fondé par la publication de l’étude de Tawney297. En 1918, après le vote du deuxième Trade Board Act, qui aboutit au renforcement de leur pouvoir, il devint président du Paper-box board puis accepta d’autres présidences en 1919 et 1920298. Le lien entre ce travail et la théorie politique de Hobhouse est manifeste : les Trade Boards doivent être étendus à tous les secteurs économiques et leur pouvoir doit être encore augmenté, de manière à consacrer la transformation du conflit des employeurs et des employés en une coopération. Une amélioration notable résiderait dans la création d’un bureau central des Trade Boards, qui se chargerait de comparer les salaires entre eux et de les ajuster, tout en permettant le transfert éventuel des surplus299 des secteurs bénéficiaires vers les secteurs en difficulté, pour que ces derniers ne succombent pas à une charge salariale trop lourde.

En outre, Hobhouse imagina, parallèlement, la constitution de sortes de conseils d’administration par secteur économique, où auraient été représentés les travailleurs et les dirigeants, mais aussi les consommateurs ou usagers.

Pareille proposition est caractéristique de la pensée hobhousienne. Ces conseils représentent une forme de synthèse de l’individualisme et du socialisme, parce que lorsqu’une industrie est gérée par l’État, ou par la municipalité, elle est, en fait, aux mains des consommateurs, qui ne sont pas les plus aptes à la diriger. A l’inverse, lorsque les consommateurs sont exclus des décisions, le Bien Commun n’est pas suffisamment pris en compte. L’un des avantages des Trade Boards, aux yeux de Hobhouse, était leur composition tripartite. La présence de personnes extérieures, nommées par le gouvernement, garantissait l’impartialité des décisions communes. Lorsqu’un tel organisme de négociation n’avait que deux composantes, il risquait fort de se retrouver dans l’impasse. C’était là, justement, la raison de l’échec des Whitley Councils300. La composition tripartite permet, dans un tel cas, de voter et de prendre une décision. De plus, elle signifie que le Bien Commun ne sera pas perdu de vue, les intérêts collectifs seront respectés en même temps que sera préservée l’efficacité (efficiency), grâce à la présence des gestionnaires et des experts à leurs côtés :

‘The true principle of the collective control of industry means a control exercised , if not by a whole nation, yet in the interests of the whole nation. (TLM 42)’

Hobhouse plaçait de grands espoirs dans les Trade Boards, car ceux-ci devaient produire des changements dans les conditions de travail et de vie des travailleurs, mais aussi permettre d’instaurer l’habitude de la coopération. ils étaient essentiels à la justice sociale, puisque la concertation devait permettre de fixer les conditions d’un contrat juste entre les deux parties. En outre, ils étaient concrets et rendait possible l’expérimentation de l’organisation coopérative de la société. Or, comme nous l’avons déjà écrit, Hobhouse préférait toujours l’expérience à l’hypothèse abstraite. Le fait que les Trade Boards débouchèrent sur un échec parce que l’opposition entre les classes était devenue trop forte301, ne changea en rien le point de vue de Hobhouse. Il attribuait la déconvenue de ces organismes de conciliation (Trade Boards et Whitley Councils), d’une part à leur manque de pouvoir, (il voulait que leur soit accordé le pouvoir d’exécution de leur décisions), et d’autre part, au manque de soutien du gouvernement, qui aurait du suivre leurs conclusions. Peu avant sa mort, il proposa son aide au gouvernement travailliste pour étendre et renforcer le système des Trade Boards et fut, d’après le témoignage de Hobson302, blessé de voir son offre refusée. Il restait donc convaincu que ce mode d’administration était le meilleur, de loin supérieur à la confrontation entre les classes au travers des conflits sociaux, ou à l’administration socialiste centralisée :

‘The key to an industrial solution is to be found in a division between the executive direction of industry and the impartial control, part legislative, part judicial, of the living conditions under which it is carried on. To this control belongs the regulation of wages, hours, conditions affecting health, and the status of the worker. Its general principles must be laid down by the State legislature, but it may be left to a Trade Board to adapt such principles to the particular needs of each trade. ( ESJ 183)’
Notes
294.

 TLM p. 32 : « to “correlate” demand and supply and obviate the present waste of work on one side , and human life on the other. »

295.

 E. HALÉVY, Epilogue 2, Vers la démocratie sociale et vers la guerre 1905-1914, p. 241. Cet ouvrage est désormais abrégé « Halévy ».

296.

 J. A. HOBSON, « L .T. HOBHOUSE: a Memoir » in Hobson/Ginsberg p. 54. Cette partie est désormais abrégée « Hobson ».

297.

 Hobson p. 55 : « Mr Tawney’s Studies on the results of the Trade Boards in the Tailoring and Chain-making trades confirmed the views he had already formed and encouraged him to emphasise the importance of legal minimum rates of wages in appropriate trades. »

298.

 Pour une liste des Trade Boards créés dans ces années, voir T. Whitton « The Wages Councils ».

299.

La notion de surplus est envisagée ci-dessous.

300.

« Whitley Council, also called Joint Industrial Council, in Great Britain, any of the bodies made up of representatives of labour and management for the promotion of better industrial relations. An original series of councils, named for J.H. Whitley, chairman of the investigatory committee (1916-19) who recommended their formation, were first instituted as a means of remedying industrial unrest. Many of them later developed into wage negotiating bodies. The Whitley Council principle was extended and applied to non industrial sectors as well. Thus in 1919 a National Whitley Council was formed for the entire non industrial civil service in Britain ». Cette définition est donnée par Encyclopaedia Britannica, Chicago, Encyclopaedia Britannica, 1987, vol 12, p. 638.

301.

 Collini LS p. 113.

302.

 Hobson p. 83.