2.2. Le pouvoir coercitif de l’État

Pris entre les exigences libérales de la liberté individuelle et la nécessité d’un accroissement du rôle de l’État pour les besoins de la justice sociale, l’auteur cherche à être très précis quant aux conditions dans lesquelles l’État peut user de son pouvoir coercitif. Celles-ci sont, d’une part, déterminées par les implications de la redéfinition de la liberté; l’État est coercitif pour sauvegarder la liberté de certains individus contre l’usage abusif de la liberté des autres. D’autre part, la conception organique permet d’affirmer que ce qui est parfois, en apparence, d’ordre coercitif, comme l’impôt, ne l’est pas au fond, puisqu’on ne peut séparer le bien de l’individu du Bien Commun. Ainsi, si Hobhouse reconnaît le caractère coercitif de l’intervention de l’État, c’est parce que ses fins sont concrètement bénéfiques pour le Bien Commun et l’individu :

‘Our only general rule will be that, seeing that the state is a form of association and is limited by the fact that its functions have to be crystallised in definite institutions, expressed in universal laws and in large measure carried out by the use of compulsion, their sphere must be determined by considering how far the objects of social co-operation can be furthered by methods of this kind, or how far, on the other hand, the nature of the methods necessary will itself conflict with the ends desired. (IS 154, 155)’

Quand c’est l’État qui est le mieux placé pour fournir les éléments du Bien Commun, dans le cas, par exemple du service public ou des retraites, ou lorsque l’usage de la contrainte s’avère nécessaire, comme pour imposer des congés payés, le contrôle social est légitime. Néanmoins il faut en user avec parcimonie, car la coercition est un outil dangereux; elle peut nuire au développement moral et entraîner une perte de vigueur qui, à son tour, freinera le progrès général :

‘[...] a normal human being is not to be coerced for his own good, because as a rational being his good depends on self-determination, and is impaired or destroyed by coercion. (IS 163)’

Elle doit donc être évitée autant que possible. Il est préférable de miser sur le développement rationnel et libre des individus, qui aura pour effet de renforcer la cohésion harmonique de la société, et de faire progressivement disparaître les conflits qui, aujourd’hui, requierent l’usage de la coercition pour être résolus :

‘The problem set to the rational good by the conditions of its own nature is that of securing acceptance by proving its superiority, and of making its way in the minds of men by the constraint of the mind and not by coercion. (Lib 66)’

L’auteur constate, notamment, que l’intervention coercitive est réduite dans les sociétés très homogènes, c’est-à-dire celles qui sont monoreligieuses et monoraciales. Dans un tel cas, en effet la cohésion de la collectivité engendre une adhésion spontanée aux lois :

‘[...] there will be a general adherence to the same customs, a general sympathy with the same ideals of life, and there will be little difficulty in maintaining laws which could only be imposed upon an alien race by means of extreme severity. (IS 154)’

Pour qu’une société ait un bon fonctionnement, il suffit que l’ensemble des individus qui la composent s’entendent sur les règles générales qui fondent l’organisation sociale. Il ne s’agit pas pour l’État d’uniformiser les individus, mais uniquement d’entraver les entraves (hindering hindrances) au Bien Commun :

‘[...] compulsion is of value where outward conformity is of value, and this may be in any case where the non-conformity of one wrecks the purpose of others. (Lib 70)’

En tout état de cause, l’action de l’État se limite au strict cadre de la loi, qui, dans une démocratie, est l’expression de la volonté des citoyens. De plus, ses interventions ne peuvent être déterminées que par le souci du Bien Commun, et ses moyens d’intervention ne doivent jamais contredire leurs fins. Hobhouse refuse tout recours à l’argument de la raison d’État, comme le faisait apparaître la dispute avec Bosanquet exposée dans la partie précédente.

Par conséquent, un État n’est viable que s’il repose sur la volonté des citoyens. Ceci implique qu’il est, effectivement, le fruit d’une association consentante de la part de ses citoyens. Il ne fait pas de doute, par exemple, que l’Irlande doit obtenir la Home Rule, parce que le degré de coercition nécessaire au maintien de l’État britannique ne peut que nuire au Bien Commun. Quoiqu’il en soit, l’usage de la coercition doit rester compatible avec l’idéal libéral : « L’objet premier du libéralisme politique est de fonder le gouvernement sur la liberté303. » L’autorité de l’État n’est légitime, sur le plan moral, que lorsque celui-ci repose effectivement sur les citoyens unis par le principe des droits et devoirs réciproques, et qui sont définis comme « ‘des individus responsables qui jouissent pleinement de leurs droits civiques et exercent leurs obligations’ », tandis que le gouvernement est lui-même responsable, et qu’il exprime « ‘la volonté de toute la société, au travers de la loi et de l’administration’ 304 ».

Notes
303.

 L. T. HOBHOUSE, « Irish Nationalism and Liberal Principle » p. 168 : « The primary object of political Liberalism is to found Government on freedom. »

304.

 Meadowcroft CS, p139 : « The ’two main features’ of a state were ’the responsible individual fully seized of civic rights and obligations, and the responsible government expressing the will of the whole society in law and administration’. »