3.4. Le suffrage universel

Grâce à cette explication, Hobhouse souligne, une fois de plus, la nécessité de la participation active au Bien Commun. Puisqu’il n’existe pas sans les citoyens, l’État n’a pas d’initiative si celle-ci ne provient pas de ces mêmes citoyens. Comme le montre la place des structures associatives, tout doit être fait pour encourager la participation des citoyens et permettre l’avènement concret de la démocratie. Cela suppose, d’abord que le suffrage soit nettement étendu. Hobhouse était partisan du suffrage universel même s’il se contentait, à défaut, d’un suffrage très large :

‘A community is regarded as politically free on condition, not only that it is independent of others, but that its own constitution rests on a wide if not a universal suffrage. (ESJ 88)’

Cependant, il ne se satisfaisait, en aucun cas, de la dernière extension du suffrage qui, en 1884, accordait le droit de vote à tous les hommes propriétaires ou locataires. Il était conscient que subsistait l’injustice du vote pluriel (plural-voting), et que les difficultés d’inscription sur les listes électorales avaient pour effet d’exclure arbitrairement certains citoyens du suffrage. En effet, deux millions et demi d’hommes, qui répondaient pourtant aux critères, ne pouvaient voter. Les registres électoraux ne recensaient, donc, que 63% des hommes, ce qui revenait à un quart de la population adulte à peu près. Il fallut attendre le Parliamentary Reform Act de 1918, pour que le droit de vote fût étendu à tous les hommes de plus de 21 ans ainsi qu’à la plupart des femmes de plus de trente ans. Avant cette date, Hobhouse afficha souvent son soutien au droit de vote des femmes, même s’il réprouvait les méthodes d’une Christabel Pankhurst pour y parvenir. Comme à son habitude, il se servait de l’histoire pour montrer que l’extension du suffrage au sexe féminin était inexorable. Les trois dernières lois sur le suffrage (1832, 1867, 1884) témoignaient d’une marche vers la représentativité des institutions; celle-ci était un principe qui faisait, désormais, l’unanimité. Les arguments des opposants à l’entrée des classes laborieuses dans le corps électoral, avaient fait long feu. Or, il les comparait précisément avec ceux des opposants au vote des femmes, et concluait qu’ils étaient identiques : on disait, par exemple, que les femmes étaient représentées par le vote des hommes de leur famille ? On avait aussi cru, en des temps révolus, que le vote du propriétaire ou de l’employeur représentait les petites gens. Dans l’ensemble, il n’y avait pas d’explication rationnelle à l’exclusion d’une catégorie entière de la population.:

‘There are no new arguments against the suffrage, and whatever ground there may be for admitting the representative principle is a good ground for carrying the principle to is logical conclusion. (GP 130)’

Hobhouse était bien conscient de la dérive démagogique que court le gouvernement dans une démocratie, et reconnaissait que l’on pouvait être séduit par l’idée de l’autocratie. Ainsi, un monarque qui, loin de toute pression populaire, règne en sage, peut s’avérer moins soumis aux intérêts et aux pressions de ses sujets qu’un élu face à ses électeurs. Mais les intrigues de Cour doublées de la tentation tyrannique représentaient des dérives bien plus dangereuses, et, de toute façon, les institutions britanniques n’avaient pas de philosophe-roi à leur tête, mais un gouvernement représentant une partie du peuple. Ainsi, dès lors que le principe de la représentativité est accepté, il est absurde de s’opposer au suffrage universel en arguant des faiblesses de la démocratie.

Certes, avec le suffrage universel, le vote d’un individu semble n’avoir guère de poids, surtout dans le cadre du scrutin majoritaire (Hobhouse préférait l’idée d’un scrutin proportionnel). De plus, dans une démocratie indirecte, l’individu délègue son pouvoir et n’a que peut de prise sur l’usage qui en est fait. L’auteur reconnaît que ce type de critique est fondé, mais elle participe de la représentation traditionnelle qui consiste à concevoir l’individu comme une entité isolée qui s’oppose à la collectivité. Cette représentation est évidemment fallacieuse à ses yeux :

‘Each single man or woman is a very puny atom in the social mass, and if he felt himself alone might well ask what his vote was worth. But he does not stand alone. He is normally an item in the numerical voting strength of some definite group. (GP 126)’

En allant voter, le citoyen apporte son soutien à un groupe, il consolide le vote irlandais, ou le vote non-conformiste, ou encore le vote syndicaliste... La véritable démocratie, fondée sur le suffrage universel, permet, par conséquent, que les intérêts de tous les groupes ou classes soient entendus, et non pas seulement les intérêts catégoriels des puissants :

‘The right of the individual to vote enables all the ‘interests’ to make themselves felt; and by interests we mean not merely the selfish desires of a class or a combination, but all that touches the feeling, the imagination, the enthusiasm of any important group of voters. All these in their degree make themselves heard in the struggle, and stand to win some share, small or great, in the representative Chamber, and thereby affect the decisions of government. (GP 127)’