3.6. Place de la majorité

Si la démocratie apparaît souhaitable, elle doit être organisée avec précaution et minutie pour éviter les nombreux écueils qui la menacent. A cet égard, dans la tradition millienne, l’une des priorités de l’auteur demeure de se prémunir contre un État tyrannique, ce qui comprend la tyrannie éventuelle de la majorité. A cet effet, comme nous l’avons déjà écrit, l’État n’est légitime que s’il regroupe une communauté d’individus qui possède une certaine cohésion. Si, par exemple, ce sont toujours les mêmes intérêts qui sont mis en minorité par l’organe représentatif, alors les membres de cette minorité sont victimes de tyrannie. Les conditions de l’harmonie requièrent, dans pareil cas, que la minorité accède à sa propre autonomie. Ainsi, Hobhouse est-il favorable à l’indépendance politique des peuples334. Le développement rationnel est aussi un moyen d’éviter que les électeurs n’aient que leur propre intérêt à l’esprit lorsqu’ils se prononcent sur la politique qui doit être menée pour l’ensemble de la société. Ils doivent, en effet, pouvoir comprendre que les minorités doivent être traitées équitablement :

‘[...] the direct and calculable benefit of the majority may by no means coincide with the ultimate good of society as a whole; and to suppose that the majority must, on grounds of self-interest, govern in the interest of the community as a whole is in reality to attribute to the mass of men full insight into problems which tax the highest efforts of science and of statesmanship. (Lib 35)’

Théoriquement, la notion d’harmonie ne conçoit pas de conflits irréductibles entre les individus ; le compromis est donc toujours possible. L’art de la politique réside justement dans une pratique de la synthèse qui permet d’harmoniser c’est-à-dire d’aboutir à un accord des parties sur la base de concessions mutuelles. Plutôt que de soumettre la minorité à la volonté majoritaire, les dirigeants démocratiques doivent donc, de manière caractéristique de la pensée de Hobhouse, effectuer « ‘une synthèse qui préserve la substance de chaque demande’ 335 » tout en transformant celles-ci afin qu’elles correspondent au Bien Commun. Or, le règne despotique de la majorité, en étant générateur de disharmonie, n’est pas conforme à celui-ci.

Comme chez Green, la politique hobhousienne suppose que c’est la citoyenneté qui rend l’homme moral, et qu’il est absurde d’inverser les termes de cette affirmation pour proposer d’attendre que l’individu soit moral avant de lui donner le droit de vote. Hobhouse semble faire le pari de voir, à terme, la démocratie permettre le développement de l’individu de sorte qu’il soit suffisamment rationnel pour échapper aux dérives inhérentes au système :

‘[...] democracy may be nothing but an experiment, and of the results of an experiment time alone can judge. But it is an experiment worth the making in a world where no alternative mode of government holds out equal hopes of social progress. In any case before it can be judged the experiment must be complete, and it can be completed only by the removal of every artificial barrier of sex, property or the chicanery of complex laws to the exercise of the rights of citizenship. (GP 135)’
Notes
334.

 Voir troisième partie, chapitre 8, section 6.

335.

 ESJ p. 44 : «  [...] a synthesis in which the substance of each claim is preserved. »