Chapitre 7 :
l’organisation économique

1. La remise en question de l’organisation économique

L’examen des conditions de l’organisation politique montre que l’organisation sociale hobhousienne passe nécessairement par une réorganisation de l’économie. Comme pour l’organisation politique traitée dans le chapitre précédent, les fondements de la réorganisation économique se trouvent dans la philosophie abordée dans notre première partie. A nouveau, la division imposée par notre exposé ne rend guère justice à la pensée de l’auteur, qui ne sépare pas l’économie du reste de l’organisation sociale. Du reste, il utilise peu le terme « économie » préférant s’en tenir à l’organisation du « système social ». Il faut concevoir, par conséquent, que la justification de l’organisation de l’économie est d’accompagner le renouveau politique, pour permettre, in fine, que l’organisation globale reflète la réalité organique de la société et rende possible le progrès harmonique. De plus, Hobhouse n’est pas un économiste ; ses propositions de réorganisation demeurent relativement générales et, lorsqu’il a recours à quelques notions plus spécialisées, il s’inspire essentiellement des conclusions de la théorie de la sous-consommation de Hobson. Mais quelle que soit la forme, Hobhouse ne doute pas que le développement économique, en tant que partie du développement social, ne puisse être guidé par la raison et, par là, modulé pour satisfaire aux exigences morales. Puisque celles-ci impliquent que le développement moral de l’individu est la fin de l’organisation sociale, alors l’économie doit être inféodée à ce but et soumise à un contrôle rationnel. Dans The Labour Movement Hobhouse affirmait déjà qu’il fallait privilégier la justice sociale face au bon fonctionnement économique dans le cas où ceux-ci s’opposeraient336.

Toutefois, dans les écrits ultérieurs, l’auteur semble s’être concentré sur le fait que le contrôle rationnel qui doit diriger l’économie peut aussi être conçu comme susceptible d’améliorer son fonctionnement propre en permettant une meilleure croissance. Lorsque la direction de la société est rationnelle les conditions matérielles sont aussi améliorées parce qu’elles sont produites et distribuées avec cohérence. Pour Hobhouse, le marché n’est donc pas uniquement condamnable parce qu’il a des conséquences immorales, telle que la pauvreté d’une partie de la population, ou parce qu’il exacerbe l’égoïsme en encourageant l’individu à se concentrer sur son gain personnel, au détriment du Bien Commun, mais aussi parce qu’il engendre une déperdition des énergies et de la production :

‘Production is for the most part unregulated; there is no systematic attempt to get what is necessary and good for the community produced, neither more nor less. On the contrary, every man produces what he thinks some one will give a good price for, and if many other people have been thinking the same thing there will be a glut in the market. And hence the paradox of modern industry, that plenty is the cause of starvation. (TLM 35)’

Par conséquent, l’auteur postule qu’une organisation économique rationnelle fait coïncider les exigences de la justice sociale avec un meilleur fonctionnement. A cet égard, on peut juger, avec Collini, qu’ « ‘à la base de la théorie de Hobhouse, il y a une décision morale déguisée en vérité économique’ 337. » Ainsi, l’économie hobhousienne est-elle, en premier lieu, liée à la conception de l’évolution orthogénique qui conçoit le progrès global sous la direction de la raison. Elle est, donc, issue de directives rationnelles et éthiques qui sont l’esprit de la réorganisation économique.

Notes
336.

 TLM p. 28 : «  [...] There is a possible discrepancy between what is fair from the industrial and what is fair from the social point of view [...] note that for us the social point of view governs the economic. »

337.

 Collini LS, p. 134 : « At the root of Hobhouse’s theory, [...] is a moral decision disguised as an economic truth. »