2.2. Préservation de la liberté d’entreprendre

De la même manière que les réformes sociales respectaient, selon Hobhouse, les principes du libéralisme, l’auteur se servit de Cobden pour insister sur le fait que la préservation de la liberté économique supposait un contrôle des entreprises. Dans la tradition libérale, les monopoles étaient effectivement reconnus comme une menace à la liberté de l’individu et Hobhouse rappelait que Cobden désirait qu’ils soient interdits. Pour l’auteur, il s’agissait là de la reconnaissance du principe de liberté antisociale. Si Cobden n’en avait pas déduit les mêmes applications que Hobhouse, c’était à cause de la différence de contexte :

‘Business was still in the main organised in undertakings small in comparison with the scale which is now familiar. Cobden thought that the utmost possible freedom in the life of these multitudinous little concerns would prevent the growth of any overpowering monopoly and enure to the most effective division of labour and the best possible service to the community. (TP 270)’

Les monopoles et, par extension, les grands trusts (combination), font l’objet d’une condamnation sans appel de la part de l’auteur, quand ils sont aux mains du secteur privé. Puisque l’argument de la liberté antisociale convient tout particulièrement à ce cas, l’organisation économique de Hobhouse s’applique, notamment, à donner aux pouvoirs publics le contrôle des monopoles, tels que l’exploitation et la distribution du charbon, de l’eau ou du gaz. Outre la caution libérale, Hobhouse trouvait dans le socialisme municipal d’un Chamberlain, un précédent dont il s’employait, de façon typique, à étendre le principe. L’auteur postule que toute branche de l’industrie ou du commerce susceptible d’exercer un pouvoir sur l’individu peut faire l’objet d’un contrôle. Néanmoins il s’agit, une fois de plus, d’un principe qui peut permettre de nombreuses interprétations, dont celle d’une collectivisation totale de l’économie. Tout dépend de ce qui sera concrètement défini comme pouvoir abusif. Or, le fait que l’organisation économique hobhousienne n’est exposée que dans ses grandes lignes rend difficile l’évaluation exacte des conséquences d’un tel principe. On peut, toutefois, affirmer qu’il ne signifie pas la remise en question du droit à la libre entreprise, parce que l’auteur précise la nécessité de celle-ci, dans le même souci de préservation de la liberté et d’encouragement au développement moral. Ainsi, Hobhouse pense que l’entreprise privée est de nature à responsabiliser l’individu. Lorsque c’est possible, l’entreprise doit être privée, parce que les affaires privées incitent plus à une gestion raisonnable que l’entreprise publique. Un endettement éventuel aurait, par exemple, des conséquences immédiates et plus concrètes. Une entreprise publique bénéficierait, toujours par exemple, d’un soutien financier de la part de l’État plus longtemps qu’une entreprise privée, à laquelle les banques n’hésiteraient pas à couper les vivres si elle s’avérait déficitaire. En règle générale, le secteur privé est un rempart solide contre les inconséquences de la bureaucratie qui, dans la conception hobhousienne, est le plus grand danger encouru par le développement de l’intervention de l’État. Le contrôle de l’économie prévoit donc de laisser le secteur privé se développer :

‘Within such control there will still be much scope for individual enterprise, and in many forms of industry it is probable that the small man setting up on his own, will always hold a place. Notwithstanding the great stores and the multiple shops, the little shop in the village or the by-street still has its place. The local garage, the cycle repair shed, and the cobbler’s shop go on, and there is no reason why nationalism should lay its hands on them any more than capitalism. What will be demanded of them is that they should foot the social bill of health by maintaining good conditions for employees. (TP 289)’

Toutefois, il faut garder à l’esprit que l’organisation économique hobhousienne prétend maintenir les intérêts privés dans l’intérêt même du Bien Commun. On serait tenté de parler d’une économie où l’initiative individuelle reste subordonnée au service de la collectivité. De plus, Hobhouse affirme que la gestion par les pouvoirs publics présente aussi des avantages spécifiques. Elle offre une plus grande stabilité et, par là, une pérennité de l’économie, notamment des emplois, mais surtout, elle garantit la responsabilité sociale, c’est-à-dire l’adéquation avec le Bien Commun. Quand celui-ci est particulièrement concerné, il faut nationaliser. Un certain nombre d’entreprises et de secteurs, dont la propriété et l’exploitation des matières premières, et toutes les entreprises qui ayant dépassé une certaine taille menacent d’être en situation de monopole, doivent donc passer sous contrôle public. Toutefois, selon l’auteur, il est souvent préférable de ne pas confier la gestion des entreprises publiques directement à l’État, mais à des organismes de coordination intermédiaires, auxquels participent des représentants du gouvernement ainsi que des experts du secteur de l’entreprise en question. Le Port of London Authority créé en 1909, est, pour Hobhouse, un modèle de ce genre.