2. L’avenir du libéralisme selon Hobhouse en 1911

A la fin du 19e siècle, le libéralisme avait été menacé sur sa droite par l’impérialisme et sur sa gauche par le socialisme ou la social-démocratie : bien que radicalement opposés « ‘ces deux groupes étaient d’accord sur une chose : ils allaient se partager l’avenir’ 378 ». L’impérialisme avait pour programme de soumettre les peuples colonisés et d’écraser les républiques du Transvaal et de l’Orange Free State, tandis qu’en Angleterre, le parti conservateur, que Hobhouse assimilait à l’impérialisme en les classant tous deux dans le camp de la réaction, voulait s’attaquer aux acquis du libéralisme, s’apprêtant à ré-établir l’Eglise, favoriser les intérêts des producteurs d’alcool (liquor interests) et mettre en place le protectionnisme. Les mesures sociales et l’encouragement à la consommation d’alcool devaient garantir la discipline et l’efficacité (efficiency) des masses. Effrayés par les défaites de 1899 en Afrique du Sud et par la concurrence commerciale de l’Allemagne, les réactionnaires s’étaient, en quelque sorte, repliés sur leur territoire et dépensaient des sommes énormes pour construire des cuirassés. Le conservatisme disposait encore, à l’heure où Hobhouse écrivait, d’un programme cohérent : « ‘l’idéal d’une nation efficace et disciplinée qui serait le centre et la force dominante d’un empire militaire puissant et auto-suffisant’ 379. »

Pendant la même période, le socialisme avait émergé : la crise économique qui débuta en 1872, fit apparaître les limites du libre-échange. Green et Toynbee contribuèrent à débarrasser le libéralisme de la conception individualiste de la liberté tandis que les Fabiens ramenèrent « le socialisme sur terre380 », en définissant les fondements d’un socialisme non-utopique et non-révolutionnaire. Un redéploiement de l’échiquier politique en une simple opposition entre les forces de la propriété et les démocrates était imminent. Mais la question irlandaise en 1884 précipita la division du parti libéral qui, affaibli, ne sut pas traiter la question sociale comme il se devait, tandis que le mouvement travailliste se renforçait au travers des syndicats et que naissaient les théories organiques qui reliaient les questions sociales au rôle de l’État. Heureusement, la politique du gouvernement unioniste finit par déclencher une réaction de la part des libéraux et de leur dirigeant Campbell-Bannerman, qui eut le courage de s’opposer à la guerre des Boers. Enfin, l’alliance contre le protectionnisme consacra l’union du travaillisme et du libéralisme :

‘The socialists of practical politics, the Labour Party, found that they could by no means dispense with the discipline of Cobden. Free Trade finance was to be the basis of social reform. Liberalism and Labour learned to co-operate in resisting delusive promises of remedies for unemployment and in maintaining the right of free international exchange. (Lib 107)’

Selon l’auteur, cette alliance devait constituer le pôle de progrès qui pourrait mener la société vers l’organisation sociale décrite dans la deuxième partie de cet ouvrage. La collaboration des partis travailliste et libéral était la manifestation de leurs prises de conscience respectives que leur but était le même :

‘The result is a broader and deeper movement in which the cooler and clearer minds recognize below the differences of party names and in spite of certain real cross-currents a genuine unity of purpose. (Lib 109)’

Le bref exposé des événements qui précédèrent cette union fait apparaître les aspects fondamentaux qui la constituent. Elle s’établit sur le libre-échange, sur un idéal pacifique, sur une politique internationale respectueuse de la liberté des peuples, de même que sur une conception de la justice sociale qui implique une redistribution des richesses et, donc sur l’intervention de l’État, et enfin, sur la démocratie qui garantit le respect des libertés de l’individu. En outre, il faut retenir que, pour Hobhouse, ces principes sont indissociables et forment une unité de pensée compatible avec la mise en place de l’harmonie sociale. Parce qu’elle se fondait, avant tout, sur des principes moraux, l’analyse de Hobhouse était très tranchée : toute entorse à ces principes relègue son auteur dans le camp adverse, celui de la réaction.

Notes
378.

 Lib p. 103 : « Opposed in everything else, these two parties agreed in one thing. They were to divide the future between them. »

379.

 Lib p. 105 : « [...] the ideal of the efficient, disciplined nation, centre and dominating force, of a powerful self-contained militant empire. »

380.

 Lib p. 105 : « [...] the Fabian Society brought Socialism down from heaven. »