4.1. Critique de la diplomatie de Grey

Toutefois, avant d’envisager le sens de l’écart entre Hobhouse et ses amis de l’UDC et de The Nation, il semble qu’il faille d’abord se concentrer sur les questions de politique étrangère que la guerre mettait en lumière. Le refus de Hobhouse d’adhérer à l’UDC est, en effet, aussi surprenant parce que les positions du mouvement semblaient tout à fait conformes à celles de l’auteur. Les trois objectifs principaux de l’UDC étaient les suivants : premièrement, il devait y avoir, à l’avenir, un contrôle parlementaire de la politique étrangère ; deuxièmement, les démocraties européennes devaient entamer, à la fin de la guerre, des négociations pour former une organisation dédiée à la prévention des conflits ; enfin, troisièmement, les conditions de paix ne devaient pas être humiliantes pour le vaincu et ne consacreraient pas de frontières artificielles susceptibles d’engendrer des nouveaux conflits. L’UDC tenait la diplomatie secrète de Grey pour responsable de l’entrée en guerre, opinion que partageaient Lloyd George383, d’une part, et Scott et Hobhouse, d’autre part, qui jugeaient que la politique étrangère du gouvernement libéral avait fait montre d’antagonisme vis-à-vis de l’Allemagne, et qui n’avaient, en outre, aucune sympathie pour le ministre des affaires étrangères depuis son soutien à l’intervention en Afrique du Sud. Ainsi, Hobhouse résumait l’attitude de la Grande-Bretagne envers l’Allemagne, et la saga des dreadnoughts dans les années d’avant-guerre sur un ton plutôt critique :

‘The half-patronizing friendship for Germany rapidly gave way, first to commercial jealousy, and then to unconcealed alarm for our national safety. All the powers of society were bent on lavish naval expenditure, and of imposing the idea of compulsory service on reluctant people. (Lib 104)’

Le Manchester Guardian avait toujours critiqué la course aux armements : en 1909, il prit parti contre Reginald McKenna, alors ministre de la marine, et Asquith, lorsqu’ils réclamèrent plus de cuirassés, tandis que Lloyd George et Churchill préféraient allouer plus d’argent à la politique sociale. Il afficha la même position lorsque, à son tour, Churchill réclama la construction de quatre nouveaux bateaux en janvier 1914384. En effet, alors que Scott et Hobhouse étaient pourtant très versés dans les questions internationales, ils ne semblaient pas prendre la mesure de la menace allemande. Pour eux, la politique de l’équilibre des puissances en Europe (balance of power) de Grey, masquait une certaine germanophobie. Lors de la crise du Maroc en juillet 1911, par exemple, Scott parlait, dans son journal intime, du « ‘microbe de la germanophobie’ 385 » dont certains hommes politiques auraient été victimes. Il écrivit une lettre à Asquith, en tant que responsable libéral à Manchester, pour le mettre en garde contre une guerre avec l’Allemagne386, et récusa l’argument qu’employait Gray pour justifier le soutien britannique à la France, à savoir que les routes commerciales étaient menacées. En outre, il lui fit connaître sa position sur les exigences territoriales de l’Allemagne au Congo : il ne voyait aucun inconvénient à ce que celle-ci possédât un comptoir commercial en Afrique occidentale.

Notes
383.

 Voir Charmley, p. 331 Lloyd George aurait eu ce commentaire : « Edward Grey is one of the two men primarily responsible for the war. »

384.

 Voir T. WILSON, The Political Diaries of C. P. Scott, 1911-1928. Cet ouvrage est désormais abrégé « Wilson ».

385.

 Cité par Wilson p. 48.

386.

 Lettre de CP Scott à Asquith le 20/7/11, citée par Wilson, p. 44.