CHAPITRE 9
L’ÉTAT ET LA « CULTURE ALLEMANDE »

1. Le combat contre l’Allemagne : un combat idéologique

1.1. L’entrée en guerre pour sauver la civilisation

L’un des effets du discours de rationalisation de la guerre fut de transformer la première guerre mondiale en une étape vers l’actualisation des liens organiques de la communauté mondiale. Cet argument permettait à l’auteur de nier l’idée d’une rupture dans l’évolution historique vers l’harmonie et, par là, d’affirmer que la guerre mondiale ne démentait pas, sur le fond, la pertinence des idéaux libéraux mais, au contraire, en soulignait la légitimité. De la même manière, l’intervention armée contre l’Allemagne participait des idéaux libéraux, car le discours de rationalisation s’appliqua à décrire celle-ci comme une guerre contre la tyrannie, pour la liberté des peuples. Dès l’invasion de la Belgique, le voeu de neutralité de Hobhouse, du Manchester Guardian ainsi que, comme on le sait, d’une partie des membres du gouvernement qui avaient menacé de démissionner, fut remplacé par le souci de réparer une telle atteinte à la liberté d’un peuple. Pour Hobhouse, l’intervention de la Grande-Bretagne s’inscrivait désormais dans la ligne du devoir moral d’intervention défini par Gladstone453.

Comme nous l’avons écrit, le discours de Hobhouse sur la guerre relègue les explications de concurrence commerciale, de partage des colonies ou des erreurs diplomatiques au second plan. Il semble ne s’y être intéressé que dans la mesure où elles dénotaient un esprit expansionniste et militariste, donc immoral, qui constituait la vraie menace qui planait sur l’Europe. Une telle approche présentait, en outre, l’avantage de permettre au discours de rationalisation de souligner, à nouveau, la continuité historique : Hobhouse avait déjà stigmatisé le militarisme comme ennemi de la démocratie libérale et proposé une vision bipolaire de la division idéologique en vigueur dans le monde. Ainsi, il était facile de transposer cette opposition à l’analyse de la guerre. De façon manichéenne, la guerre fut, dès lors, dépeinte par l’auteur comme un conflit entre deux conceptions opposées : l’autocratie militariste allemande se voyait attribuer la responsabilité de la guerre, tandis que les démocraties morales n’avaient d’autre choix que de se défendre.

Notes
453.

 Par exemple, lors du refus de Disraeli d’intervenir en faveur des sujets chrétiens du gouvernement turc, Gladstone avait parlé de l’obligation morale d’intervenir : « Turkey had broken her pledges to Europe and we had the clearest moral obligations towards her victims. » Gladstone cité par Charmley p. 26.