2. La guerre intérieure

2.1. « L’esprit allemand » en Grande-Bretagne

Le combat idéologique de Hobhouse ne se résumait donc pas à un combat contre l’Allemagne : comme nous l’avons écrit, il était dirigé contre l’esprit allemand, qui consistait en un mélange de pouvoir absolu de l’État (autocratie) et de militarisme. Or, les idées ne connaissent pas de frontières, surtout au sein de la conception organique de l’auteur. L’impérialisme, tout comme le militarisme, étaient aussi présents en Angleterre, et Hobhouse les trouvaient non moins détestables et dangereux que leurs pendants allemands. Cette précision permettait à l’auteur de ne pas sombrer dans un racisme primaire dont il voyait se dessiner les contours dans la véhémence du discours anti-allemand. Comme il le précisait dans « National Character498 », il s’agissait de rester civilisé et de ne pas faire l’amalgame entre « l’esprit allemand » et la race allemande, afin de ne pas commettre l’erreur de céder à la « théorie biologique » exprimée dans l’impérialisme, qui était fondé sur l’idée d’une prétendue supériorité naturelle des Anglo-Saxons. L’analyse sociologique, qu’il opposait à la biologie, permettait de comprendre que la culture allemande résultait d’une histoire spécifique et que les Allemands demeuraient des hommes semblables en tout point au reste de l’humanité. La guerre avec l’Allemagne n’était finalement que l’expression d’une lutte, plus masquée et donc plus pernicieuse, entre l’esprit absolutiste qui prédominait dans la culture allemande et l’idéal libéral inscrit dans la tradition culturelle anglaise.

Ainsi, lorsque l’armée allemande empoisonnait les puits499, l’absolutisme marquait un point contre l’éthique libérale qui veut que les relations entre les pays, soient, même en temps de guerre, gouvernées par des lois et conventions internationales. Mais, de la même manière, certains événements en Grande-Bretagne incarnaient la victoire de ce même esprit et corollairement la défaite de l’esprit libéral. La propension de l’opinion publique à se laisser manipuler par la presse de Northcliffe témoignait, notamment, de la fragilité de l’ancrage de l’esprit libéral. Par exemple, Hobhouse était outré par le sort réservé aux allemands sur le sol britannique et par les émeutes anti-allemandes. Ils représentaient, à ses yeux, l’expression d’un nationalisme exacerbé et d’un recul des idéaux humanitaires en Grande-Bretagne, relayés par le Times et le Daily Mail, eux-mêmes obsédés par la prétendue activité des espions allemands sur le sol national500. De manière plus grave, les journaux libéraux, semblaient rester passifs face à de tels événements. Hobhouse tenta donc d’user de son influence pour que le gouvernement et la presse les condamnent :

‘About the alien question, I wrote to Simon the other day and you may like to see his reply. Massingham tells me that Asquith was personally much concerned and has visited the concentration camps. [...] Simon’s letter only partly answers mine, for I urged that the Press campaign was more dangerous than the Government’s action, and that Grey or Asquith ought to be asked to say a word to the country to point out the evil effect of rioting [...] I wish a little more could be said in the MG about the thing, but I know the difficulties. (Lettre de Hobhouse à Scott 27/10/14, Wilson 109)’
Notes
498.

 MG 6/5/16.

499.

 Voir « Poisoning the Wells », MG, 7/5/15.

500.

 Thomson précise que la presse libérale se faisait aussi l’écho de ces campagnes anti-allemandes (voir p36), néanmoins, Hobhouse en attribuait la responsabilité à Northcliffe.