2.1. « Optimism »

Le premier de ces articles, paru le 26 Juin 1915, intitulé « Optimism », indique que Hobhouse est conscient de son pessimisme mais qu’il lui semble malheureusement justifié. L’article introduit les personnages de Martius, qui, comme l’indique son nom, est entièrement du côté des bellicistes enthousiastes, et de Pluvius qui incarne le pessimisme. De son propre aveu, Hobhouse envie Martius, et les premières lignes de l’article indiquent, qu’avant la guerre, le type de personnalité incarné par Martius n’était guère éloigné de celle de l’auteur :

‘Of living men Martius is he whose temperament I am most often inclined to envy. To say that he never foresees evil would be a quite inadequate expression of the facts. When the evil which he always denied to be possible has arrived he sees it as good. He was formerly an avowed pacifist of the type which denied war to be possible in the modern world, particularly under a government so wise, far-sighted, and consistently liberal as ours. (« Optimism », MG, 26/6/15)’

Or, la guerre révèle que cet optimisme était une erreur de jugement. Pourtant, loin de s’en départir, Martius reste serein et ne cesse d’affirmer que la victoire est imminente et ce malgré les défaites cruelles et la crise des munitions. Le ton de l’auteur est très satirique lorsqu’il décrit l’optimisme inébranlable de Martius :

‘Well, Martius has had nearly eleven happy months since the war began. Each victory has been to him an unqualified joy, and each retreat a masterly step destined to make the next victory more complete. (« Optimism »)’

Face à lui, le personnage de Pluvius, prétendument pessimiste, souffre, en fait, de sa perspicacité et de ses doutes légitimes. Hobhouse rejoint la réalité lorsqu’il affirme que les « Martii » sont légion et que, bien que moins nombreux, il existe une « Gens Pluvia ». Or, s’il est plus agréable, à titre personnel, d’être un Martius, les gens qui ne savent pas reconnaître leurs erreurs ne sont pas utiles à la société :

‘Of Martius one thing is clear : that he will neither initiate nor tolerate criticism. Everything being so much for the best in his world, there being no defects, no remedies can be needed. We have only to go on as we are, suppress croakers, and all will be well. Also Martius is quite unteachable by experience, for with him to be convinced that one of his ideas is wrong is to be convinced that he has always rejected and denounced it. Martius remains through life unaware of having made mistakes. So the Gens Martia does not contribute much to constructive statesmanship. (« Optimism »)’

On retrouve ici en filigrane la philosophie de la connaissance qui sous-tend l’oeuvre de Hobhouse. Le doute, écho probable du cartésianisme, est la condition de la constitution de la vérité, dont la découverte est progressive. Sans aller jusqu’à reconnaître que sa pensée politique est ébranlée, Hobhouse semble implicitement revendiquer ce droit au doute pour échapper à l’erreur de la certitude, ou en d’autres termes « dissiper le brouillard que crée les « martiens »538 ». L’article semble annoncer que Hobhouse est en proie au désarroi d’un Pluvius parce que, pour lui, contrairement à Martius, la guerre équivaut à une remise en question des convictions d’avant-guerre. Mais il ne s’agirait pas là d’un pessimisme stérile ; celui-ci serait, au contraire, fécond, parce qu’il oblige à reconsidérer ses certitudes et permet l’évolution de la pensée539, ainsi que la critique nécessaire au gouvernement540. A cet égard, la conclusion de la confrontation entre l’optimisme « martien » et le pessimisme « pluvien » est explicite :

‘Pessimism is a bitter astringent, but taken in moderation, not more than once daily, it has its uses. Optimism is a soporific which should only be prescribed for those whose useful life is past. (« Optimism »)’

La lecture de cet extrait pourrait donner à croire que Hobhouse fait, finalement, l’apologie du pessimisme et serait peut-être à l’aise dans le rôle d’un Pluvius. Néanmoins, la brève apparition d’un troisième personnage semble indiquer que Hobhouse refuse de présenter Pluvius comme la seule alternative à l’optimisme borné d’un Martius. Ainsi, il crée un personnage idéal qui semble réconcilier la perspicacité de Pluvius et la force de caractère de Martius :

‘Between the two we want someone to mediate –someone like, shall I say, Georgius Gallicus –who is perfectly clear-eyed in his vision of existing difficulties and dangers, but believes in ultimate success on the ground that he is resolved to it, that he knows the resources and temper of his fellow-countrymen, and is determined to discover the means by which they can be brought to bear. He is in a sense as confident as Martius, but confidence with him is not a passive attitude, accepting all things as good. It is a practical attitude of resolve to make them good. He is as critical as Pluvius, but not as melancholy. (« Optimism »)’

Toutefois, le personnage de Georgius Gallicus fait surtout figure d’alibi : il est introduit sans véritable nécessité dramaturgique dans l’économie de ce dialogue et réduit à la portion congrue dans l’expression de ses idées. Ce personnage tiers, qui viendrait heureusement dépasser le heurt frontal du belliciste borné et du pessimiste radical par l’unification dialectique de la vigueur et de la lucidité, s’avère incapable d’incarner l’équilibre entre les deux autres protagonistes. La conciliation supérieure de l’action éclairée que Hobhouse appelle de ses voeux, apparaît dès lors pour ce qu’elle est, un voeux pieux, une belle idée, une posture intenable : « Georges le Gaulois » (dont le nom indique peut-être qu’il représente l’alliance franco-britannique, mélange du roi George V et des gaulois) est un porte-parole paradoxalement mais significativement presque muet, qui ne semble pas manifester pas autre chose qu’une aporie idéologique.

Notes
538.

 « Optimism », MG 26/6/15 : « Pluvius, on the contrary, though he suffers needlessly, does help to dissipate the fog which the Martians create. »

539.

 Ibid. : « to keep things on the move ».

540.

 Ibid. :« He [Pluvius] could not run the country unaided, for he would despair too soon. But he helps to make a platform for the man who can run it. »