2. Hobhouse et le parti libéral

2.1. La relation entre Hobhouse et le parti libéral

Cette question nous oblige à examiner plus en détail les circonstances de la chute du parti libéral ainsi que les relations entre celui-ci et Hobhouse. Or, l’ampleur des liens entre l’auteur et le parti libéral est difficile à évaluer : comme nous l’avons déjà écrit, il s’agissait d’une relation souvent ambiguë, car l’attachement de Hobhouse au libéralisme consistait surtout en une proximité avec les grands penseurs du libéralisme et non avec ses hommes politiques. Il refusa de devenir député bien qu’on lui offrit de se présenter dans une circonscription acquise au parti libéral, parce qu’il ne voulait pas se soumettre à l’autorité d’un parti573. Ainsi, lorsque Hobhouse se décrit comme libéral, il parle de l’idéologie, pas du parti. Néanmoins une telle distinction comporte des limites : d’abord parce que l’exemple de la place conférée à Gladstone par l’auteur indique que les dirigeants du parti libéral incarnent aussi les idéaux théoriques, d’autant que d’autres membres éminents du parti, comme Campbell-Bannerman, possèdent un statut semblable. De plus, il ne fait pas de doute que Hobhouse a soutenu les gouvernements libéraux, même s’il les a, parfois, critiqué, et qu’il n’a jamais pardonné l’épisode de la guerre des Boers aux Liberal Leaguers. Nous avons aussi indiqué que par l’intermédiaire de Scott, lui-même dirigeant local du parti libéral et ancien député, Hobhouse était également proche des sphères du pouvoir, et qu’il entretenait, en outre, des relations cordiales avec de nombreuses figures du parti libéral. En revanche, pendant la guerre, Hobhouse ne parvint pas à éviter la rupture avec le parti libéral, parce que celui-ci pratiquait une politique désormais trop éloignée de sa pensée. Jusque là, il lui avait toujours été possible de trouver certains dirigeants pour incarner les idéaux du « nouveau libéralisme », quitte à les opposer au reste du parti, mais la politique de Lloyd George et l’indépendance des travaillistes lui fit perdre ses derniers alliés potentiels. La relation de Hobhouse passa donc d’une proximité certaine en 1914 à une distance qui n’allait faire que grandir après 1918.

Parallèlement à la place du parti libéral pour Hobhouse, il convient de préciser le rôle que jouait l’auteur pour le parti : Hobhouse était, bien sûr, un des inspirateurs qui avaient guidé le parti libéral vers les réformes sociales conformes à la conception du « nouveau libéralisme » et avaient fourni la base intellectuelle qui constituait la trame logique de la politique. On consultait Hobhouse par l’intermédiaire de Scott, ou directement lors de rencontres ou d’échanges épistolaires ; on faisait appel à lui pour prendre des responsabilités dans la nouvelle organisation sociale574. En des temps troublés, le gouvernement libéral dépendait d’autant plus du soutien des intellectuels libéraux qu’ils influençaient l’opinion au moyen de la presse.

En tout état de cause, les sorts du « nouveau libéralisme » hobhousien sur le plan théorique et du parti libéral sur le plan pratique semblent donc avoir été intrinsèquement liés lors des phases « triomphantes575 » lorsque l’on mettait en place les grandes réformes sociales et lors du début de la « désintégration ». En effet, si un théoricien du « nouveau libéralisme » comme Hobhouse ne réussissait plus à surmonter la contradiction entre la coexistence des libertés individuelles et le rôle de l’État qui était apparu dans un nouveau contexte, s’il voulait continuer de proposer une théorie cohérente. Il devait alors, logiquement, tirer des conclusions de cette impuissance et se déterminer soit en faveur d’une restriction du rôle de l’État, qui reviendrait à un repli sur un libéralisme plus classique, éloigné du socialisme, soit en acceptant de réviser la notion de liberté individuelle, pour qu’elle ne paraisse plus incompatible avec la nouvelle forme que prenait l’intervention de l’État. D’autre part, si le parti libéral ne surmontait pas les difficultés qu’il connaissait pendant la guerre, il allait s’affaiblir, et les théoriciens du « nouveau libéralisme » devraient abandonner l’espoir de le voir appliquer une politique inspirée par leur pensée. Ils auraient alors le choix, comme ce fut effectivement le cas, entre le ralliement au parti travailliste (que préféra, par exemple, Hobson), et l’éloignement d’avec le pouvoir politique. Ainsi, le déclin du parti libéral risquait de priver la théorie du « nouveau libéralisme » de son instrument politique, tandis que les difficultés éprouvés par un théoricien comme Hobhouse risquaient de priver le parti libéral de l’inspiration qui lui avait permis de se renouveler pour mettre en oeuvre une politique sociale capable de rallier les suffrages des nouveaux électeurs de gauche.

Notes
573.

 Voir Hobson p. 89.

574.

 Voir chapitre 6 section 1.4.

575.

 J’emprunte ce terme au titre de l’ouvrage de Searle.