Les premières décennies de la Troisième République représentent une période particulièrement intense pour l'organisation de la santé publique. Le traumatisme de la défaite de 1870 et l'exacerbation des inquiétudes démographiques qu'il suscite sont à l'origine d'une active campagne hygiéniste en faveur de la réforme des structures sanitaires de la France 56 . Les publications sur ce thème se multiplient, les Congrès d'hygiène internationaux, la Société de statistique de Paris et l'Académie de médecine s'emparent de la question tandis que la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle, fondée en 1877 par d'influents hygiénistes 57 , s'attache à sensibiliser les instances gouvernementales et parlementaires. A partir du milieu des années 1880, des projets et des propositions de loi en ce sens sont déposés à la Chambre des députés : la réorganisation de la santé publique entre alors dans sa phase parlementaire.
Ce bouillonnement d'initiatives, principalement menées et fédérées au niveau central, ne doit pas faire oublier les actions entreprises par les autorités locales. Car les problèmes que les hygiénistes cherchent à résoudre, les pouvoirs publics locaux les vivent au quotidien. Ce sont eux, en effet, qui sont directement confrontés aux épidémies et à l'insalubrité du cadre de vie, que l'accélération de l'industrialisation et l'intensification de l'expansion urbaine des années 1870-1880 contribuent à aggraver. Dans certains départements et grandes villes, ils cherchent alors à remédier à ces situations, en développant notamment leur dispositif institutionnel de protection sanitaire. Les responsables du département de l'Isère et de la ville de Grenoble sont de ceux-là. A partir de 1879, ils s'engagent dans la voie de la réforme sanitaire, réorganisant d'anciens services, en installant de nouveaux. L'évolution des budgets affectés à l'hygiène publique témoignent des efforts consentis. Entre 1878 et 1900, les dépenses sanitaires départementales sont multipliées par cinq, passant de 4 100 francs à 21 100 francs 58 ; celles de la ville de Grenoble connaissent une progression similaire, grimpant de 2 660 francs à 15 510 francs 59 .
Ce chapitre se propose d'étudier les transformations qui affectent le système isérois de santé publique au cours des années 1880-1890. Une telle démarche apparaît en effet essentielle pour comprendre les logiques d'intervention publique locale en matière sanitaire, et, au-delà, les modalités futures de la mise en oeuvre de la loi du 15 février 1902 dans le département. Pour cela, il nous faut d'abord remonter jusqu'au début du XIXe siècle et retracer la genèse du dispositif de protection sanitaire isérois. Dès cette période en effet, les bases de la gestion de la santé publique sont posées. Ensuite, nous observerons l'investissement croissant des autorités locales à partir de 1879, en étudiant successivement les initiatives entreprises par le département puis par la municipalité grenobloise. Les deux niveaux d'administration n'ont pas les mêmes prérogatives en ce domaine et surtout, ils se différencient par la forme de l'intervention publique choisie. Ainsi, les initiatives départementales s'inscrivent dans la droite ligne des modes de gestion définis au cours de la première moitié du XIXe siècle. Celles de la municipalité grenobloise au contraire marquent au contraire une évolution, caractérisée par l'entrée de la santé publique au sein de l'appareil administratif.
Sur la genèse de la loi du 15 février 1902 : André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique de la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique en France, Paris, Masson, 1903, pp. 1-4 ; Olivier FAURE, Les Français et leur médecine..., op. cit., pp. 242-244 ; Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., pp. 211-213.
Sur la composition de la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle : Lion MURARD, Patrick ZYLBERMAN, L'hygiène dans la République..., op. cit., pp. 42-64.
ADI, 3 N 19/9 à 3 N 19/14 : Budgets départementaux des recettes et des dépenses pour les exercices de 1878 à 1900.
AMG, Budgets de la ville de Grenoble pour les exercices de 1878 à 1900.