Les années 1870-1880 sont pour Grenoble une période d'intenses transformations démographiques et économiques. La croissance de la population, entamée avec force depuis le milieu du Second Empire, reprend de plus belle à partir de 1872 405 . En une décennie, la ville s'adjoint 8 711 habitants supplémentaires, soit un taux d'accroissement moyen annuel de 1,9 % 406 . En 1881, elle compte 51 371 habitants alors qu'elle en recensait 32 799 en 1856 407 . Sur le plan économique, les années 1870 marquent " la fin d'une époque caractérisée par l'essor des formes traditionnelles d'industrialisation " 408 . Les activités qui avaient fait la prospérité de Grenoble sous l'Empire - ganterie, cimenterie, papeterie -, connaissent encore quelques beaux jours, avant d'être confrontées à de graves difficultés 409 . Cependant, le relais paraît déjà assuré par la chaudronnerie et les entreprises de constructions mécaniques, industries dynamisées par l'hydro-électricité 410 .
Pareilles transformations, réalisées pour certaines dans une ville encore enserrée dans ses fortifications, ne sont pas sans conséquences sur le cadre de vie. Certes, sur ce plan, la ville de Grenoble n'a jamais eu très bonne réputation. En 1806, l'auteur d'une Description générale du département de l'Isère, François Perrin-Dulac, écrivait des Grenoblois : " On leur reproche, avec quelques fondements, la malpropreté extérieure de leurs maisons. Les cours, les allées ressemblent à des cloaques qu'on ne peut regarder qu'avec dégoût " 411 . Une soixantaine d'années plus tard, c'est le premier des Guides Joannedu Dauphiné qui dresse contre la ville un réquisitoire sans appel : " La vue et l'odorat y ont trop à y souffrir. Il faut avoir été habitué dès l'enfance à de si dégoûtants spectacles, à de si puantes odeurs, pour pouvoir les supporter sans d'énergiques protestations " 412 . Au milieu des années 1880, malgré quelques améliorations incontestables, la ville de Grenoble, et notamment ses vieux quartiers, restent marqués par l'insalubrité et la malpropreté. Dans une étude consacrée à l'hygiène de Grenoble en 1885, le docteur Girard dénonce les éternelles eaux stagnantes, les véritables égouts à ciel ouvert qui parcourent la ville, les caves sans cesse humides ainsi que les logements encombrés et malsains de la vieille ville 413 . Cette situation n'est pas sans influence sur la santé des habitants. Si la mortalité a entamé un mouvement de décroissance depuis le début du XIXe siècle, elle reste toutefois élevée, avec un taux de 25 pour 1 000 en 1879-1883 414 . Les fièvres intermittentes et paludéennes, la fièvre typhoïde, plus localisée, règnent encore à l'état quasi-endémique tandis que les ravages exercés par la tuberculose pulmonaire sont particulièrement préoccupants 415 .
Face à une telle situation, les municipalités républicaines successives 416 ne restent pas inactives. Elles tentent d'y remédier par divers moyens et, notamment, en étoffant l'organisation sanitaire de la ville. Deux temps doivent être distingués. Le premier correspond au mandat municipal d'Edouard Rey, républicain affirmé, qui s'étend de 1881 à 1888 417 . Le second coïncide avec l'arrivée à la direction des affaires municipales d'un républicain modéré, le docteur Gaché 418 . C'est au début de son mandat que va être créé un service municipal chargé spécifiquement des questions d'hygiène et de santé publiques, le bureau d'hygiène.
Vital CHOMEL (dir.), Histoire de Grenoble, Toulouse, Privat, p. 247 et 282. Cf. Annexe n°12.
Ibid., p. 282.
Chiffres extraits de Bernard BONIN, René FAVIER, Jean-Pierre MEYNIAC et Brigitte TODESCO, Paroisses et communes de France. Dictionnaire d'histoire administrative et démographique. Isère, Paris, Editions du CNRS, 1983, p. 278.
Vital CHOMEL (dir.), op. cit., p. 260.
Le tableau doit être nuancé en fonction des différentes activités. Les difficultés de la ganterie commencent véritablement vers 1893, en raison de la concurrence française et étrangère, des transformations du marché et des tarifs protecteurs instaurés aux Etats-Unis ; celles de la cimenterie s'étalent de 1885 à 1905 ; quant aux papeteries, certaines subissent directement la concurrence des industries hydro-électriques tandis que d'autres se développent grâce à l'hydro-électricité. Pour plus de précisions, Vital CHOMEL (dir.), op. cit., pp. 308-312 et Henri MORSEL, Jean-François PARENT, Les industries de la région grenobloise. Itinéraire historique et géographique, Grenoble, PUG, 1991, pp. 27-31, 77-93, 109-116.
Vital CHOMEL (dir.), op. cit., pp. 312-313 et Jean-François PARENT, Henri MORSEL, op. cit., pp. 153-158.
Cité par Raoul BLANCHARD, Grenoble, étude de géographie urbaine, Grenoble, Didier et Richard, 1935 (3° édition), p. 95.
Cité par Robert AVEZOU, Il y a cent ans. Grenoble en 1860, Texte imprimé d'une conférence donnée le 10 mai 1960 à la Chambre de commerce de Grenoble, au profit de l'oeuvre " La Réadaptation par le Travail et les loisirs " dans les Sanas et les Hôpitaux, puis répétée le 10 décembre 1960, avec quelques additions, à la Bibliothèque municipale de Grenoble à l'occasion de l'exposition " Grenoble hier et aujourd'hui ", pp. 4-5.
Jules GIRARD, Grenoble au point de vue l'hygiène, Grenoble, Imp. Breynat, 1885, p. 13-14, 26-28 et 37-39.
Vital CHOMEL (dir.), op. cit., p. 248.
Ibid, pp. 248-249 ; Jules GIRARD, Grenoble au point de vue..., op. cit., p. 28 et 99-109 ; Léon FOLLIASSON, Essai sur la topographie médicale, l'histoire et l'hygiène de l'arrondissement de Grenoble, Thèse de doctorat en médecine, Paris, A. Parent, 1883, pp. 49-50.
Le conseil municipal de Grenoble est entièrement républicain depuis le mois d'avril 1871, mais en 1874, le préfet conservateur impose à la ville une municipalité conservatrice. En 1876, la municipalité est dirigée par le républicain modéré Auguste Gaché, qui cède la place, en 1881, à un républicain " plus ardent ", Edouard Rey. Il faut toutefois noter, avec Didier Renard, que la véritable date charnière " pour ce qui concerne les politiques publiques locales comme celle des véritables débuts de la République " se situe en 1878, lorsque le conseil municipal, le maire et surtout le préfet sont tous républicains. Pierre BARRAL, op. cit., pp. 472-473 et Didier RENARD, " Les politiques sociales municipales et leurs acteurs. Grenoble au début de la Troisième République ", in Bruno DUMONS, Gilles POLLET (dir.), Elites et pouvoirs locaux....,op. cit.,pp. 86-87.
Sur Edouard Rey, Vital CHOMEL (dir.), op. cit., p. 320 ; Pierre BARRAL, op. cit., p. 473-474 et la fiche biographique établie par Guillaume MARREL, op. cit., pp. 192-194.
Pierre BARRAL, op. cit., p. 472 et 474.