a. La recherche des causes de décès : naissance d'une statistique médicale

Si l'organisation d'une statistique nationale du mouvement de la population est ancienne 494 , le relevé périodique des causes de décès est beaucoup plus récent. Ce n'est qu'en 1853, à l'occasion du premier congrès international de statistique, que le gouvernement français décide d'établir une statistique des causes de décès pour l'ensemble du territoire 495 . Les résultats se révèlent décevants : en effet, beaucoup de communes n'envoient pas les feuilles récapitulatives et les médecins hésitent, dans leur ensemble, à lever le secret médical. Dès 1858, les données recueillies cessent d'être publiées et cinq ans plus tard, les relevés sont abandonnés 496 . L'entreprise reprend à partir du milieu des années 1880. Une circulaire ministérielle du 26 octobre 1885 prescrit aux maires des communes de 10 000 habitants et plus d'établir un relevé bimensuel des décès causés par diverses maladies contagieuses 497 . L'année suivante, la statistique est étendue à l'ensemble des causes de décès et ses résultats sont publiés. En 1889, la statistique des causes de décès concerne également les villes de plus de 5 000 habitants, puis l'ensemble des communes à partir de 1906 498 .

C'est dans ce contexte de sollicitation de l'autorité nationale que la Société de médecine et de pharmacie de l'Isère se préoccupe, au début de l'année 1886, d'organiser à Grenoble une statistique des causes de décès 499 . La proposition est soumise au conseil municipal et adoptée 500 et, dès le mois d'avril, la collecte peut commencer.

Celle-ci s'effectue suivant une procédure 501 stricte, permettant de concilier exigence statistique et secret professionnel. La mairie fournit ainsi aux médecins deux types de bulletins. Le premier est un certificat de décès à remettre aux parents du défunt, qui indique ses nom, prénom, sexe, âge, profession et domicile ainsi que l'heure de la mort. Le second bulletin mentionne seulement la cause du décès et il est conservé par le médecin dans une enveloppe fermée. Munie du premier bulletin, la famille du défunt doit ensuite se rendre au bureau de l'état-civil, qui envoie chercher le second bulletin auprès du médecin. Les deux bulletins sont alors transcrits sur des registres distincts, tenus par des employés différents, travaillant dans des bureaux différents. Le premier registre reprend les indications données par le certificat de décès, à l'exception des nom et prénom du défunt ; le second registre indique seulement la cause de la mort. La confrontation des deux registres est possible mais elle ne peut avoir lieu qu'avec "l'autorisation du maire, dans un but scientifique et par une personne compétente " 502 .

La collecte étant mise au point, il reste à en organiser l'exploitation. La Société de médecine est à nouveau sollicitée et se divise sur la question : certains pensent qu'il faut se limiter à publier un relevé des maladies les plus fréquentes ; d'autres souhaitent au contraire établir une statistique par âge, par sexe et surtout par quartier 503 . La seconde proposition est adoptée et la Société décide de confier ce travail à un employé de la mairie de Grenoble. Cette solution est toutefois très vite remise en cause : en effet, les médecins qui ne répugnent pas à déclarer les causes de décès ne désignent pas toujours les mêmes affections sous les mêmes noms et l'employé municipal s'avère incapable de procéder au classement des diagnostics. Dans ces conditions, il est décidé que l'élaboration de la statistique mensuelle doit être confiée à un médecin, et plus précisément au secrétaire général de la Société de médecine et de pharmacie 504 . La proposition est manifestement entérinée par la mairie de Grenoble et, à partir du mois d'août 1886, la statistique des causes de décès, répartie par quartier, est publiée tous les mois dans les colonnes du bulletin de la Société de médecine 505 .

Notes
494.

Selon Jacques Dûpaquier et René Le Mée, l'initiative remonte à 1772 ; la statistique du mouvement de la population est ensuite réorganisée sous le Consulat. Jacques DUPAQUIER, René LE MEE, " La connaissance des faits démographiques de 1789 à 1914 ", in Jacques DUPAQUIER (dir.), op. cit., p. 15 et suivantes.

495.

Jean-Nöel BIRABEN, " La tuberculose et la dissimulation des causes de décès ", in Jean-Pierre BARDET, Patrice BOURDELAIS et alii (dir.), Peurs et terreurs face à la contagion, Paris, Fayard, 1988, p. 190.

496.

Ibid., pp. 190-191.

497.

Maurice AUBENQUE, Un aperçu historique des statistiques sanitaires de la France, Paris, INSEE, 1975, p. 14. Les maladies concernées sont la fièvre typhoïde, la variole, la rougeole, la scarlatine, la coqueluche, la diphtérie et la diarrhée infantile.

498.

Ibid., pp. 14-17.

499.

AMG, 5 I 3/4 : Lettre du Président de la Société de médecine et de pharmacie au maire de Grenoble, 16 février 1886.

500.

AMG, 5 I 7/1 : Conseil municipal de Grenoble, séance du 23 mars 1886.

501.

Ibid. et AMG, 5 I 3/4 : Lettre du Président de la Société de médecine et de pharmacie au maire de Grenoble, 16 février 1886.

502.

Ibid.

503.

Société de médecine et de pharmacie, séance du 12 avril 1886, Journal de la Société de médecine et de pharmacie de l'Isère, n°6, avril 1886.

504.

Société de médecine et de pharmacie, séance du 21 juin 1886, Journal de la Société de médecine et de pharmacie de l'Isère, n°8, juin 1886.

505.

Journal de la Société de médecine et de pharmacie de l'Isère, n°10, août 1886.