La revivification des conseils d'hygiène passe en premier lieu par une nouvelle organisation 809 . Le cadre de l'arrondissement, comme base d'action territoriale des conseils, est abandonné au profit de circonscriptions sanitaires, dont le nombre et l'étendue sont laissés à la décision du conseil général. Chaque circonscription est pourvue d'une commission sanitaire, l'ensemble étant coiffé par un conseil d'hygiène départemental.
Cette formule beaucoup plus souple comporte plusieurs avantages 810 . Elle permet par exemple, d'éviter aux membres des conseils de longs et pénibles déplacements en établissant leur action sur des territoires plus restreints. Elle permet surtout de constituer des circonscriptions sanitaires en fonction des caractéristiques propres à chaque région du département. L'accent est en effet mis sur la spécificité des problèmes d'hygiène, qui varient suivant la répartition de la population et la nature des activités économiques. " Il est évident, commentent A.J. Martin et Albert Bluzet, que la protection de l'hygiène publique comporte des mesures très variables, selon qu'il s'agit par exemple, d'une région industrielle ou d'une région essentiellement agricole (...). Il y aurait intérêt dans ce cas à ce que chaque région différente eût une commission sanitaire particulière, et que les membres de chacune de ces commissions puissent ainsi se spécialiser dans l'étude des problèmes d'hygiène qui rentreraient le plus directement dans l'objet habituel de leur délibération " 811 . Il s'agissait donc bien, à travers un découpage approprié, de sérier les problèmes d'hygiène dans une optique de spécialisation, voire de rationalisation.
L'efficacité n'était toutefois pas seulement attendue de l'adaptation des circonscriptions aux conditions sanitaires locales. Elle était également garantie par la liberté laissée au conseil général d'organiser les conseils d'hygiène, et plus largement, le service départemental de l'hygiène publique. " C'est précisément pour avoir tenté d'imposer une même organisation dans tout l'ensemble du pays, expliquait A.J. Martin en 1891, qu'on a suscité des oppositions souvent irréfléchies, des rivalités de personne et des difficultés sans nombre, dont la conséquence a été trop fréquemment l'ajournement de réforme. En laissant ainsi plus de libertés aux initiatives locales, on accroîtra les chances de succès (...) 812 ".
Cependant, donner davantage de libertés aux autorités locales dans l'organisation des institutions d'hygiène ne signifie pas leur accorder une entière autonomie. Si les conseils généraux peuvent décider à leur guise du nombre et de l'étendue des circonscriptions sanitaires, ils disposent d'une marge plus réduite quant à la composition des commissions y officiant. La loi fixe en effet le nombre de leurs membres ainsi que la profession ou qualité du plus grand nombre d'entre eux.
Arrêté du 15 février 1849 | Loi du 15 février 1902 | ||
Conseil d'hygiène d'arrondissement | Conseil d'hygiène départemental | Commission sanitaire | |
Médecin | Entre 4 et 6 | 3 (dont un médecin militaire) | 1 |
Pharmacien | Entre 2 et 4 (ou chimiste) | 1 | |
Vétérinaire | Entre 1 et 2 | 1 | 1 |
Architecte | 1 | 1 (ou autre homme de l'art) | |
Ingénieur en chef | 1 | ||
Conseiller général | 2 | 1 | |
Nombre total de membres | Entre 10 et 15 | Entre 10 et 15 | Entre 5 et 7 |
Sources : ADI, 113 M 5 : Arrêté ministériel du 15 février 1849 et article 20 de la loi du 15 février 1902.
Par rapport à l'organisation de 1848, la composition des conseils et des commissions sanitaires est sensiblement modifiée. Les professions de santé sont toujours représentées mais dans des proportions beaucoup plus faibles. Alors qu'elles comptaient pour les trois quarts des effectifs en 1849, elles n'en pèsent plus qu'au maximum la moitié en 1902. Ce n'est pas que législateur se soit montré spécialement moins directif qu'un demi-siècle auparavant ; il insiste au contraire toujours autant sur la nécessaire capacité d'expertise des membres des conseils sanitaires. Toutefois, il en diversifie les formes en introduisant des hommes venue de la technique, les architectes et les ingénieurs. L'élément politique fait également son entrée au sein des conseils d'hygiène, avec la présence d'un ou deux conseillers généraux.
La modification de la composition des assemblées sanitaires s'explique essentiellement par la diversification de leurs attributions. Les conseils sont en effet appelés par la loi à intervenir davantage dans des questions liées à l'insalubrité des immeubles, aux travaux d'adduction d'eau potable ou de construction d'égouts 813 . Architectes et ingénieurs apparaissent donc particulièrement qualifiés pour traiter de ces problèmes, d'autant plus qu'ils ont su, à travers leurs travaux ou leur investissement dans dans le champ de la réforme sociale, développer une compétence hygiéniste 814 . On manque en revanche d'éléments qui permettraient d'apprécier pleinement la présence des conseillers généraux. Les inspirateurs et les auteurs du projet de loi restent muets sur ce point 815 et les commentateurs du texte ne la justifient pas davantage. Seuls Paul Strauss et Alfred Fillassier expliquent que, comme les question étudiées par les conseils d'hygiène " auront fréquemment leur répercussion sur les intérêts généraux du département, il était nécessaire d'y faire pénétrer obligatoirement quelques membres du conseil général " 816 . L'adjonction de représentants de l'assemblée départementale n'est d'ailleurs pas forcément une chose négative. On peut en effet très bien penser que le législateur a voulu créer un rapprochement entre l'expert et le politique, et par là, intéresser davantage celui-ci aux questions sanitaires. En ce sens, la présence des conseillers généraux pourrait être interprétée comme un élément de dynamisation des conseils et des commissions d'hygiène.
La loi règle enfin une dernière question indispensable au bon fonctionnement des assemblées sanitaires : celles de leurs ressources. On s'en souvient, le législateur de 1848 n'avait abordé le sujet que de façon très vague, s'en remettant à la sollicitude des conseils généraux. Le résultat ne s'était pas fait attendre : en 1884, près de 25 % des départements n'avaient alloué aucun crédit à leurs conseils d'hygiène et la moitié d'entre eux votait des sommes inférieures à 500 francs 817 . La loi de 1902 marque sur ce plan une avancée sensible puisqu'elle rend les dépenses des conseils obligatoires pour le budget départemental 818 . Toutefois, elle ne va pas aussi loin que les projets initiaux. Le texte présenté par le gouvernement et voté par la Chambre des députés prévoyait en effet d'indemniser les membres des conseils d'hygiène sous la forme de jetons de présence et d'allocations de frais de déplacement 819 . " L'on ne peut pas indéfiniment demander des services à certaines catégories de personnes, toujours les mêmes, sans une rétribution légère (..)" 820 , expliquait ainsi le rapporteur de la Chambre des députés. De plus, les études menées par le CCHPF montraient que les conseils les plus vigoureux étaient justement ceux dont les membres étaient indemnisés 821 . La commission du Sénat n'était pas entrée dans cet ordre de vue. Elle retirait du projet les dispositions visant expressément les jetons de présence et les allocations pour frais de déplacement, tout en reconnaissant la nécessité de " rémunérer, ne fût-ce que par un jeton de présence de cinq francs, les personnes qui ne sont pas des fonctionnaires de l'Etat ou du département " 822 . Il revient alors aux conseils généraux de concrétiser ou non la proposition. Ainsi, si les assemblées départementales ne peuvent se soustraire à l'obligation d'allouer un crédit aux conseils d'hygiène, elles restent entièrement libres d'en fixer le détail.
La loi du 15 février 1902 apporte des changements notables dans l'organisation des conseils d'hygiène issus de 1848. Elle met fin à l'uniformité territoriale en laissant aux conseils généraux le soin de décider du découpage départemental ; elle instaure une véritable hiérarchie en distinguant nettement les commissions sanitaires du conseil départemental, dont elle diversifie la composition. Enfin, elle inscrit les dépenses des assemblées d'hygiène au rang des dépenses obligatoires. Ces divers transformations sont à mettre en relation avec les nouvelles responsabilités dont les conseils sanitaires sont investis.
Article 20 de la loi du 15 février 1902.
Voir notamment André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., pp. 260-261 ; André-Justin MARTIN, Projet de loi pour la protection de la santé publique..., op. cit., pp. 88.
André-Justin MARTIN, Albert BLUZET, Commentaire administratif et technique..., op. cit., p. 261. Cette idée avait déjà été exprimée par A.J. en 1891. André-Justin MARTIN, Projet de loi pour la santé publique..., op. cit., p. 88.
André-Justin MARTIN, Projet de loi pour la protection de la santé publique..., op. cit., pp. 87.
Articles 9, 10 et 12 de la loi du 15 février 1902.
Sur ce point, Sabine BARLES, La ville délétère. Médecins et ingénieurs dans l'espace urbain. XVIIIe-XIXe siècles, Seyssel, Editions Champ Vallon, 1999, chapitre II ; Yankel FIJALKOW, " La notion d'insalubrité. Un processus de rationalisation, 1850-1902 ", Revue d'histoire du XIXe siècle, n°20-21, 2000, pp. 143-145 ; Susanna MAGRI, " La réforme du logement populaire : la Société française des habitations à bon marché ", Viviane CLAUDE, " Technique sanitaire et réforme urbaine : l'Association générale des hygiénistes et des techniciens municipaux, 1905-1920 ", Christian TOPALOV, " Nouvelles spécialités ", in Christian TOPALOV (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Editions de l'EHESS, 1999, respectivement, pp. 256-258, 271-274 et 279-280, 429-431.
La présence de conseillers généraux au sein des conseils d'hygiène est souhaitée dès 1884 par Henri Monod mais il n'en donne pas les raisons, se contentant de faire référence à la composition du comité départemental des enfants du premier âge institué en exécution de la loi Roussel. La commission du Sénat, qui introduit cette disposition dans le projet de loi, ne s'explique pas davantage. On peut simplement préciser que les conseils d'hygiène étaient plutôt favorables à cette présence. Henri MONOD, De l'administration de l'hygiène publique en France et à l'étranger. Mémoire présenté au conseil central d'hygiène et de salubrité publique du Calvados à l'occasion de l'exposition internationale d'hygiène de Londres, Caen, Imp. F. Leblanc-Montel, 1884,p. 82. ; Victor Cornil, Rapport fait au nom de la commission du Sénat..., op. cit., pp. 105-108 et André-Justin MARTIN, " Avis émis par les conseils d'hygiène sur un mémoire de Monsieur Henri Monod concernant la réforme de l'administration et de la législation sanitaire ", Recueil des travaux du CCHPF, Tome 20, 1890, p. 307.
Paul STRAUSS, Alfred FILLASSIER, op. cit., p. 399.
Ernest CONSTANS, op. cit., p. 2905.
Articles 20 et 26 de la loi du 15 février 1902. Il faut d'ailleurs noter que toutes les dépenses " rendues nécessaires par la loi " sont obligatoires.
Article 13 du projet de loi présenté par Ernest Constans ; article 14 du projet soumis et voté par la Chambre des députés le 27 juin 1893.
Jean-Baptiste LANGLET, op. cit., p. 2186.
Ernest CONSTANS, op. cit., p. 2905.
Victor CORNIL, Rapport fait au nom de la commission du Sénat..., op. cit., p. 107.